Comédie dramatique de Anton Tchekhov, mise en scène de Christian Benedetti, avec Antoine Amblard, Brigitte Barilley, Christian Benedetti, Nicolas Buchoux, Christophe Carotenuto, Philippe Crubézy, Jean-Pierre Moulin, Lise Quet, Alix Riemer, Hélène Stadnicki et Hélène Vivies.
Dans le cadre de son ambitiueux projet d'"Intégrale Tchekhov", et après "La Mouette", "Oncle Vania" et "Trois soeurs", Christian Benedetti présente "La Cerisaie", métaphore de la fin d'un monde, celui du bipartisme social de la Russie tsariste qui ne connaissait que maîtres, les riches propriétaires fonciers, et le bas peuple, les paysans asservis, cédant sous les coups de boutoir des moujiks affairistes et les intellectuels révolutionnaires.
Sa proposition répond au parti-pris dramaturgique qui préside à ladite intégrale, celui d'un dogme anti-stanislavski scandé par trois axiomes - pas de psychologie, pas de pathos et pas de personnages - et deux modalités que sont le jeu antinaturel, avec un texte dépourvu d'inflexion débité au kilomètre, et l'insertion de brèves "pauses" caractérisée par la mutité et l'immobilité des comédiens qui correspond à l'arrêt sur image cinématographique.
Pour, précise-t-il, "résister à la lourdeur réaliste, à la lenteur et au sentimentalisme" et focaliser le spectateur sur une unique réflexion, celle qui, selon lui, se dégage de l'oeuvre tcheckhovienne, celle du temps présent qu'il résume en un questionnement sur "le contemporain".
C'est un choix auquel le spectateur doit adhérer autant qu'il doit être convaincu par cette version de "La Cerisaie", analysée comme constituant simultanément un vaudeville et une partition de musique abstraite.
Dispensée en tenue de ville dans une scénographie dépouillée, quelques éléments et meubles en bois, et la mise en scène vibrionnante de Christian Benedetti, la pièce résiste au traitement notamment parce que son élagage, résultant d'une libre adaptation du texte original dans sa traduction par André Markowicz et Françoise Morvan, non seulement impacte sur sa compréhension mais anesthésie les fonctions du théâtre telles l'identification, l'empathie ou la catharsis.
Par ailleurs, si certains comédiens trouvent le juste ton benedetticien, comme Brigitte Barilley, Lioubov la propriétaire ruinée de la Cerisaie, et Alix Riemer, la fille, d'autres versent dans le numéro d'acteur (Philippe Crubézy dans le rôle du frère) ou le jeu d'humeur (Hélène Vivies campant la gouvernante toujours larmoyante que ce soit de joie ou de chagrin).
Entre la valse des valises la cacophonie des retrouvailles, la jovialité forcée de la dernière fête et les borborygmes du vieux et déjà fantomatique domestique (Jean-Pierre Moulin) et le couperet de l'épilogue sonore, le massacre à la tronçonneuse des arbres emblématiques, n'émergent, fort étrangement, que quelques instantanés.
Tel, par exemple, celui où Lopakhine, le fils de moujik devenu riche interprété par Christian Benedetti, qui vient d'acquérir la Cerisaie tend en vain la main, offrant son coeur et la propriété, à Lioubov qui, conscience de classe oblige, ne s'abaissera jamais au "vulgaire". |