Réalisé par Pascale Breton. France. Drame. 2h28 (Sortie le 9 mars 2016). Avec Valérie Dréville, Kaou Langoët, Elina Löwensohn, Manon Evenat, Laurent Sauvage, Klet Beyer, Yvon Raude et Peter Bonke.
Voilà un film qui n'a pas froid aux yeux de ses potentiels spectateurs et qui, vaillant et têtu comme le nom que porte sa réalisatrice, va droit où il veut aller, sans se soucier des obstacles qu'il accumule.
"Suite Armoricaine" de Pascale Breton est peut-être le film qui ces temps-ci mérite qu'on réhabilité la vieille étiquette de "cinéma d'art et d'essai".
Car il s'embarque dans la lutte des salles avec un titre pas très explicite ou au contraire trop : sa revendication de "bretonnitude" fera sans doute fuir ceux pour qui "Armorique" n'est pas porteur de valeurs universelles. Ce sera la première erreur, parce que dans le temps patient du film de Pascale Breton l'Armorique viendra pour une belle conclusion, avec guérisseur-druide et pays "féérique" pour le moins sublime dans les dernières plans que proposera la réalisatrice.
Mais déjà, alors qu'on était parti pour en parler de manière cursive, le film impose qu'on le raconte en dépit du bon sens. Mais est-ce faire preuve de bon sens de faire porter toute cette histoire sur les épaules de Valérie Dréville ? Si, sur les planches, elle peut prétendre à une certaine reconnaissance, qu'en est-il sur un écran ?
Surtout si elle partage la vedette avec Kaou Langroët et Elina Löwensohn ? En faire une universitaire qui disserte à longueur de plans sur des tableaux de Poussin, c'est aussi un sacré pari. D'autant que c'est de sa chaire qu'elle vient d'obtenir dans une ville où elle a passé sa jeunesse que le film déroule progressivement son sujet.
On ne s'y attendait pas forcément, mais il s'agit d'un film nostalgique, un film bilan sur une génération encore une fois perdue, celle des post-post soixante-huitards et des après-punk qui, malgré les progrès faramineux de l'individualisme, croyaient encore à un destin collectif.
C'est là la force de "Suite Armoricaine" de Pascale Breton, raconter la dernière génération qui voulait changer le monde mais que le monde a morcelé, groupusculé, atomisé façon puzzle.
Il ne reste plus d'elle que des marginaux pétris d'addiction ou en perte de repères. Valérie Dréville va voir ressurgir de son passé tout un tas de spectres, pas mieux lotis qu'elle pour vivre dans un monde sans utopie.
Et parmi ces fantômes, il y aura cette ex-jeune femme flamboyante qui triomphait de son insolente jeunesse rebelle sur une vieille photo et qui, aujourd'hui, a le visage émacié d'un Antonin Artaud revenu de Rodez et de tous les dérèglements des sens. Valérie Dréville fait face à la sublime Elina Löwensohn, elle aussi bien connue des milieux théâtraux, dans des retrouvailles pathétiques, celle de l'universitaire des champs et celle de la clocharde des villes.
Destiné précisément aux quadras-quinquas, mais plein d'enseignements pour leurs enfants, "Suite armoricaine" de Pascale Breton est un cruel constat pour une génération médiane qui n'a pas pu empêcher les choses affreuses qui arrivent maintenant. Ni responsables ni coupables, seulement portés par des flots contraires, ces hommes et ses femmes survivent, se survivent.
C'est donc un message très fort qui se cache derrière ce film mal aimable qui fait son chemin chez ceux qui ne l'auront pas refusé.
Et puis, "Suite Armoricaine" ne se complaît pas seulement dans une nostalgie délétère. Grâce au personnage joué avec fougue par Kaou Langoët, s'opère une mystérieuse transmission. Lui qui était le fils perdu d'une âme perdue, devient le fils retrouvé d'une mère sans enfants.
Et l'on restera volontairement dans cette formulation vague pour ne pas tout révéler à ceux qui auront eu raison d'aller voir ce vraiment beau film qui met Pascale Breton sur des rails incertains, mais qui, on l'espère, sauront lui faire parcourir d'autres forêts de Brocéliande. |