Réalisé par John Crowley. Irlande/Grande-Bretagne/Canada. Romance. 1h53 (Sortie le 9 mars 2016). Avec Saoirse Ronan, Domhnall Gleeson, Emory Cohen, Jim Broadbent, Julie Walters, Jessica Paré, Brid Brennan et Fiona Glascott.
N'en déplaise à Gide, mais les bons sentiments peuvent faire de la bonne littérature... Du moins, grâce à Nick Hornby, de bons scénarios.
"Brooklyn" de John Crowley, tiré du roman éponyme de Colm Toibin, en fournit la preuve irréfutable.
Baignant dans un jus irlandais pur catholique, "Brooklyn" suit le parcours d'une jeune Irlandaise, Eilis Lacey, qui part tenter sa chance aux États-Unis au début des années 50. Elle aura la chance de découvrir New York à son apogée en technicolor.
Tout respire l'après-guerre très profitable à l'Amérique de Truman et d'Eisenhower. Dans ce monde propret de petits blancs, pas de ruines, pas d'orphelins, pas de traumatisés ni de râleurs sur les difficultés de logement ou de nourriture. Pas encore de guerre de Corée, guère d'échos de la Chasse aux Sorcières. Les magasins sont luxueux, les ouvriers italiens commencent à faire leur chemin et les Irlandais retrouvent des couleurs en mangeant à leur faim. Même le passage au service d'émigration est présenté comme une formalité.
Eilis Lacey, c'est Soairse Ronan, celle qui jouait la petite copine du groom de "The Great Budapest Hotel". Elle est charmante, timide, travailleuse, intelligente. Quand elle tombe amoureuse, c'est d'un bon gars : vraiment Colm Toibin l'a gâtée. Elle est parfaite pour un film positif avec évidemment de gros morceaux de malheur transatlantique dedans. Car Eilis a laissé sa sœur là-bas en Irlande avec leur mère, en sachant très bien qu'elle ne viendra jamais la rejoindre.
Mais sa mort soudaine ramène Eilis Lacey bien plus vite que prévu au pays natal. Avec, grâce à son expérience américaine, la possibilité d'un autre destin irlandais. C'est maintenant l'heure du dilemme : rester ou repartir ?
Vivre sa vie avec un gentil irlandais de bonne famille ou retrouver celui qui l'attend à New York, cet artisan italien à la voix traînante, préfigurant les teen-agers de la génération James Dean, avec qui elle peuplera l'Amérique d'une bonne fournée de métis cathos italo-irlandais ?
Entre le craquant new-yorkais destiné au cauchemar climatique et au rêve américain et l'Irlandais de country-club au pull Shetland, c'est un vrai choix de civilisation qu'elle a su les épaules, Eilis !
On sortira de "Brooklyn" de John Crowley avec les yeux légèrement humides, ou le mouchoir bien trempé, selon son tempérament et son ressenti du film. Mais on approuvera Eilis pour sa décision et pour avoir contribué à faire la nique à André Gide. |