Tragédie d'après l'oeuvre éponyme de John Ford, mise en scène Frédéric Jessua, avec Justine Bachelet, Elsa Grzeszczak, Tatiana Spivakova, Jean Claude Bonnifait, Baptiste Chabauty, Frédéric Jessua, Thomas Matalou, Vincent Thépaut et Harrison Arévalo.
Si Roméo et Juliette, les amants tragiques de Vérone magnifiés par Shakespeare, sont passés à la postérité comme figures de l'amour romantique, la même notoriété au regard du grand public n'est pas attachée à ceux de John Ford, de vingt ans son cadet, Annabella et Giovanni, les amants transgressifs de Parme qu'il plonge la volupté, le sang et la mort.
Cela étant, son opus "Dommage qu'elle soit une putain", considéré comme un chef-d'oeuvre du théâtre baroque élisabéthain, revient régulièrement à l'affiche pour retracer le destin de jumeaux animés ni d'un désir pervers ni d'une volonté de rébellion mais soumis à la force impérieuse d'un amour total, voire absolu, placé sous le signe de l'innocence, qui n'est pas synonyme de pureté dès lors qu'ils connaissent l'interdiction de l'inceste, et de la fatalité.
Car leur destin funèbre, dont le, bras armé se trouve être un serviteur espagnol heureux de se jouer de tous ces "italiens", est de surcroît aiguillonné par la concrétisation du péché et le désir de vengeance des personnages d'intrigues secondaires.Et tout se termine par un carnage général qualifié cyniquement de "bordel" par le potentat religieux.
La Compagnie La Boîte à outils fondée par le comédien, musicien et metteur en scène Frédéric Jessua en propose, sous le titre "Annabella" et avec une nouvelle traduction résolument contemporaine opérée en collaboration avec Vincent Thépaut, une version résolument "furioso" aussi inattendue, voire déconcertante pour certains, que maîtrisée.
Le drame se déroule dans un dispositif tri-frontal, avec une scénographie crépusculaire - décor en film PVC noir tagué de blanc et éclaboussé de rouge sang conçu par Charles Chauvet - sous les lumières de Marinette Buchy et pour en scène une partition à la dramaturgie échevelée, Frédéric Jessua use de codes qui ressortent tant au glam-rock, qu'au Grand Guignol.
Grand Guignol car tout est paroxystique dans des scènes-tableaux explosifs qui siéent à la démesure originale, et glam-rock parce qu'immergé, tant par les costumes de Julie Camus que les inserts musicaux, dans les années Ziggy Stardust, avec en résonance le titre "Tis a Pity She Was a Whore" figurant dans la play-list de "Blackstar", l'ultime album studio album de David Bowie sorti en 2015, et, pour hymne à cet amour, "Nights in white satin", le hit mondial du groupe The Moody Blues.
Au jeu, Fréderic Jessua, qui s'est distribué dans le rôle des ecclésiastiques, a réuni deux comédiens confirmés, Jean-Claude Bonnifait, en pater familias bonhomme mais soucieux de respectabilité, et Thomas Matalou, en prétendant offensif puis mari dupé, et une brassée de jeunes talents : Harrison Arévalo, Justine Bachelet, Baptiste Chabauty, Elsa Grzeszczak, Tatiana Spivakova et Vincent Thépaut.
Mention spéciale aux comédiennes, au don burlesque de Justine Bachelet et à l'énergie protéiforme de Elsa Grzeszczak, et tout particulièrement, dans le rôle-titre, à l'interprétation incarnée de Tatiana Spivakova. |