Mary Chamberlain sirote des infusions de feuilles à 17 heures, tout en grignotant des after eight au dentifrice. Elle est un sujet de sa majesté aux chapeaux et au poignet souple : la Queen Elizabeth d’Angleterre. Professeur d’Histoire et passionnée d’histoires, Mary Chamberlain choisit la grande guerre pour situer l’intrigue de ce magistral premier roman : De pourpre et de soie, titre original : The dessmaker of Dachau.
Tandis que la traduction évoque jupon et fanfreluches féminines, le titre original n’a pas besoin de qualificatifs pour être une horreur. Le simple fait de prononcer ce mot est un cauchemar à lui tout seul : Dachau. Et pour être tout à fait franche, si la traduction du titre n’avait pas penché Coco Chanel, j’aurai détourné les yeux à la vue du titre original. Cela m’aurait évité bien des cauchemars, mais m’aurait fait rater une plume merveilleuse et pudique, celle de Mary Chamberlain.
L’histoire commence à Londres, où la jeune Ada Vaughan ambitionne de mettre son talent inné pour la couture, les raglans, les drapés, les retombés, les encolures, à la fondation d’une maison de haute couture où elle pourrait dompter à loisir les matières délicates et les couleurs. Elle rencontre un charmant Stanislas Von Lieben, un gentleman des plus courtois comme on n’en fait plus. Jusqu’ici, tout va bien, la guerre n’est qu’un spectre invisible qui disparait à chaque éclat de rire.
Ben oui, mais non. La guerre est là, aux portes de l’Europe. Et quand le Royaume-Uni et la France déclarent la guerre à l’Allemagne, Ada et son prince sont à Paris. Le romantisme de l’histoire tourne d’abord amer, puis vinaigre, puis horreur, puis cauchemar, puis enfer. Stanislas est un salaud et Ada se retrouve seule, complètement seule, démunie, accompagnée de ses chaussures élimées et de sa robe à la propreté douteuse. Dernier voile de dignité qui lui sera bientôt arraché.
La patte de Mary Chamberlain a le génie de nous transporter auprès d’Ada, de la comprendre au lieu de la condamner pour ses choix, parce qu’au fond, nous aurions probablement fait les mêmes. L’auteure écrit avec la décence que la situation a enlevé à Ada, nous suivons sa déchéance jusqu’au fin fond de la honte que notre humanité porte encore dans ses plaies : Dachau. Là où le mépris est le quotidien, l’humiliation nous fait sentir vivant, au milieu des excréments et de la mort, dans l‘enfer de la souffrance permanente, le froid, la faim et le dédain sont seules compagnes.
Mais le roman ne s’arrête pas là. Il y a l’après. La libération, les ricains avec leur accent frisé, des cigarettes et du chocolat. Ada retourne à Londres, parce qu’elle a survécu, parce que l’espoir reste quand la folie s’installe, quand la douleur est ancrée, quand le traumatisme est fixé. Et je m’incline devant la grâce de l’auteure, qui a un don tout particulier pour écrire l’espoir entre les lignes du cauchemar.
Mary Chamberlain souffle l’optimisme dans les cheveux de l’ombre d’Ada, nous donnant une belle leçon de vie. Ada se métamorphose dans les pages du roman, de petite poule naïve, elle est une héroïne brisée dans une société sexiste et meurtrie. Et encore, je ne vous raconte pas la fin, dramatique et cinglante de vérité. Une grande claque dans la tronche les amis, la belle grosse droite du marchand de fessées en plein dans le nez.
"Elle était grande et digne. Elle n’était pas une grue, une prostituée ordinaire. Elle était une femme dont la douleur l’avait vrillée et clouée à terre, qui avait hurlé à l’horizon et que personne n’avait entendue. Une femme qui avait survécu, en dépit de tout." |