Tragi-comédie de August Strindberg, mise en scène de Frédéric Fage, avec Maroussia Henrich, Benjamin Lhommas, Julien Rousseaux, Colombe Villaume et Aurélie Nezri.
De la tragi-comédie en un acte d'August Strindberg, Frédéric Fage a tiré un spectacle à la fois tout à son récit et d'une grande beauté formelle.
"Les Créanciers", ce sont deux hommes et une femme, mais qui ne compose pas un trio dans la lignée joyeux de Jules et Jim. L'ancien mari manipule le nouveau et la femme ne sait pas si elle doit choisir, "payer sa créance" ou entrer dans la danse où d'autres ont aussi à régler des factures datant de leurs vies passées.
Suspense, trafic de sentiments, jeu de chat et de souris dans une ambiance "fin de siècle" qui n'est pas rappeler les ambiances des nouvelles de Vllliers de l'Isle-Adam, tout est bon pour remplir la scène d'un combat à fleuret moucheté qui va dégénérer du mélodrame bourgeois à la pure tragédie.
Certes, on aurait peut-être aimé voir des comédiens plus aguerris à l'exercice mais la triplette Maroussia Henrich, Benjamin Lhommas, Julien Rousseaux ne démérite jamais.
En manipulateur mondain, genre Lord Henry du Portrait de Dorian Gray, Benjamin Lhommas est parfaitement à l'aise et réussit à trans former la fragilité de son partenaire Julien Rousseaux en abîme existentiel. Ballottée de l'un à l'autre, aux accents d'une "danse de mort" qui rappelle une autre œuvre du maître suédois, Maroussia Henrich marque bien son territoire.
Le rendu pictural du travail scénique de Frédéric Fage est vraiment à souligner. Aussitôt le rideau levé, le spectateur sera ailleurs. Dans un pays suranné aux odeurs capiteuses, aux décors lourds, à une époque où la femme, objet de désirs interdits, sent le souffre mais commence à savoir en jouer. On pense à Félicien-Rops, à Gustave Moreau, voire aux pré-raphaélistes anglais, à la littérature de Pierre Louÿs ou de Rémy de Gourmont.
Rarement, dans le théâtre d'aujourd'hui, on aura eu la conviction que c'est la scénographie qui est première pour éclairer un texte et en donner une vision cohérente.
S'attaquer à Strindberg n'est pas chose facile, Frédéric Fage permet de mettre un pied dans son univers. S'il y pénètre par la porte dérobée d'un texte prétendument mineur, il n'en faut pas moins louer sa démarche. |