Comédie dramatique de Antonio Alamo, mise en scène de Jules Audry, avec Thibaut Fernandez, Victor Fradet, Frédéric Losseroy, Abdel-Rahym Madi et Ivan Nowatschok.
Une immense table rectangulaire couverte de cartes d'état-major, de dossiers et de livres. Autour d'elle, sera distribué le public, laissant juste un canapé rouge vide dans un coin de la pièce pour que les personnages puissent s'y étendre ou s'y jeter de temps à autre.
On est au début 1953, dans la datcha du camarade Joseph Staline. Sont présents quelques-uns de ses proches qui attendent, assez crispés, son arrivée. Ils ont des noms qui disent encore quelque chose aux spectateurs qui ont une vague connaissance de l'histoire soviétique : Khrouchtchev, Malenkov, Béria, Boulganine... et, en prime, Serge Prokofiev à la contrebasse...
Avec un tel "casting", on pourrait s'attendre à une pièce didactique, pleine d'informations sur l'URSS d'après-guerre, avec des phrases reprises de leurs discours. Ce n'est heureusement pas le cas, même si on aura le droit à la scène - véridique - de Staline piquant une colère quand l'un de ses camarades lui explique que le Bénélux, c'est le Luxembourg, les Pays-Bas et le Luxembourg et que l'ancien séminariste, au bord de l'apoplexie soutient qu'il n'y a pas les Pays-Bas dans le Bénélux.
Que l'on connaisse les personnages (historiques) ou pas, on comprendra vite que l'on est là pour assister à une nouvelle "Nuit des longs couteaux" où tous ceux qui sont sur scène ne finiront pas verticalement le spectacle. De qui Staline va se débarrasser ou qui va se débarrasser de lui ? Tel sera l'aboutissement de la pièce de l'auteur espagnol, Antonio Alamo.
Menée rondement, riche en rebondissements, "Les Malades" est un "divertissement politique" de qualité. On ne dira pas comment le "Petit père des peuples" entre en scène, mais c'est un des beaux moments de la pièce, tout de suite suivi par une autre surprise qu'en revanche on racontera car elle est emblématique de l'astucieuse mise en scène de Jules Audry : Staline est en effet joué par un acteur que l'on aurait plutôt distribué dans le rôle de Barack Obama.
Et ce qui pourrait n'être qu'une provocation gratuite, une idée instantanément oubliée, prend tout son relief dans "Les Malades", car, pour les hiérarques purement russes qui l'entourent, que Staline soit noir ou soit un géorgien, méridional à la peau mate, cela est synonyme et n'améliore pas leur courage face à ce nouvel Attila.
Dans la pièce originelle, ce que Jules Audry a mis en scène ne constitue que l'acte III, le premier se déroulant dans le bunker d'Hitler et le second lors d'une rencontre Staline-Churchill à la conférence de Postdam.
On comprend dès lors mieux le titre "Les Malades" et l'on saisit que Antonio Alamo s'est intéressé au pouvoir quand il vacille, quand il n'est plus mimé que par des vieillards en passe de le perdre.
Dans cette datcha maudite, chacun des personnages est parcouru de sentiments contraires : peur, soulagement, euphorie, déprime... Qui sera l'heureux vainqueur de ce poker menteur ?
"Les Malades" raconte un moment d'histoire brut, pas encore décanté par la légende ou l'hagiographie. Quand on saura clairement quelle direction va prendre l'Histoire, on pourra s'arrêter sur les innombrables petits mystères générés par cette version des "Malades".
Ainsi, si Serge Prokofiev, pas très bien vu du régime, assiste à cette réunion au sommet c'est tout simplement parce qu'il est mort le même jour que l'oncle Jo. Mais on le répète, nul besoin d'avoir des certificats d'histoire russe pour apprécier cette reconstitution réussie d'un de ces jours qui ont changé le monde. |