Réalisé par Whit Stillman. Irlande/France/Hollande. Comédie romantique. 1h320 (Sortie le 22 juin 2016). Avec Kate Beckinsale, Chloë Sevigny, Tom Bennett, Stephen Fry, Lochlann O'Mearain, Jenn Murray, Morfydd Clark et Emma Greenwell.
Est-ce qu'on peut faire un mauvais film avec un roman de Jane Austen ? De la version américaine d' "Orgueil et préjugés" filmé en 1940 par Robert Z. Leonard à "Coup de foudre à Bollywood" son avatar indien, les adaptations cinématographiques de la célèbre femme de lettres anglaise sont nombreuses.
Toutes sont réussies puisqu'il suffit de suivre fidèlement les intrigues imaginées par Jane Austen pour permettre à tous les publics de prendre plaisir à suivre des acteurs heureux de revêtir les attrayants costumes de l'aristocratie britannique du début du 19e siècle et de les utiliser dans les beaux décors de la riante Angleterre.
"Love and Friendship" de Whit Stillman ne fera pas exception et rentrera même dans la catégore des adaptations haut de gamme pleines de charme et d'humour.
Tout d'abord, et uniquement pour les spécialistes, "Love and Friendship" n'a rien à voir avec un roman de Jane Austen intitulé "Love and Freindship". Ici, il s'agit d'une adaptation de "Lady Susan", un court roman de jeunesse de l'auteure de "Raison et Sentiments", un roman épistolaire en 44 lettres qui contient nombre de personnages et qui ne fut publié qu'une cinquantaine d'années après sa mort.
Les aventures de Lady Susan Vernon, "jeune veuve séduisante dans une situation délicate", ne sont d'ailleurs pas sans analogie avec "les Liaisons dangereuses" de Laclos, et l'intrigante lady pourrait s'appeller la marquise de Merteuil. Jane Austen, âgée de moins de vingt ans, est encore sans doute très influencé par toutes ses lectures.
Dans cette version, où chaque personnage se présente en début de film, avec un sous-titre signifiant du genre "Lord Wanwaring, aristocrate 'irrésistible'", With Stillman prend un grand plaisir à jongler avec tous ses destins qui finissent par s'entremêler avec une logique déterministe jamais prise en défaut.
Étudiant sans méchanceté les mœurs de cette caste privilégiée, l'auteur de "Metropolitan" et de "Barcelona" fournit une copie presque marxiste tendance Eric Rohmer.
Whit Stillman, qui n'a fait que cinq films en vingt ans, reprend sans tomber dans le piège académique, sa route originale. Contrairement à quelques films anglais récents tirés de Jane Austen, on sent chez lui combien les combinaisons et les calculs des personnages ne sont pas que des marivaudages mais impliquent la recherche compulsive de rangs et de places. Bref, il y a de la lutte des classes dans "Love and Friendship" de Whit Stillman.
Une lutte de classe qui n'empêche pas le cinéaste de jouer avec des personnages truculents, tels l'innénarable Stephen Fry et l'indispensable Chloë Sevigny, ou de décrire l'énergie singulière d'une femme comme Kate Beckinsale que le veuvage fragilise, mais qui, heureusement pour elle et sa fille, est dotée d'un grand capital "symbolique" pour suppléer ses revers passagers de fortune.
On prendra donc un grand plaisir à poser avec elle ses malles dans des résidences de la gentry anglaise pour y vivre des intrigues à la fois dépaysantes et pleines de sens.
"Love and Friendship" de Whit Stillman n'est pas le ralliement d'un ancien auteur prometteur à un cinéma de distraction élégant. C'est peut-être, au contraire, une nouvelle étape dans une œuvre qui s'est construite très lentement mais qui devrait enfin s'épanouir après cette parenthèse anglaise. |