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Abel Gance  1940

Réalisé par Abel Gance. France. Mélodrame. 2h07. (Sortie 1940). Avec Georges Flamand, Henri Guisol, Viviane Romance, Lucienne Le Marchand, Mary-Lou et Renée Reney.

Les mille ruses d'Abel Gance

Pour l‘ouverture de son cycle sur le mélodrame français, la Cinémathèque a choisi l’un des maîtres incontestés du genre : Abel Gance. Car le cinéaste n’est pas que le père du mythique "Napoléon", il est aussi l’auteur de portraits sensibles : celui de la "Mater Dolorosa" dans le film éponyme, celui d’un amour fou dans "Paradis perdu", deux œuvres antérieures à cette "Vénus aveugle", et toutes deux projetées au cours du cycle.

Sur le papier, "Vénus aveugle" est le mélodrame par excellence. Jugez plutôt du scénario : une femme, incarnée par Viviane Romance, vit le grand amour avec son capitaine Madère, homme au tempérament colérique et passionné. Ils partagent des jours heureux ensemble sur le Tapageur, un bateau arrimé à quai et pour lequel Madère attend l’argent de l’assurance. Ils sont entourés de la fidèle Mireille, la sœur infirme de la jeune femme, et d’Ulysse, le marin illusionniste.

Bien vite, l’idylle se rompt : l’héroïne apprend qu’elle risque de devenir aveugle en moins d’un an. Ne voulant pas être un poids pour celui qu’elle aime, elle préfère passer pour infidèle et le quitter. Soudain, autre rebondissement : Clarisse apprend qu’elle est enceinte, et cherche à revenir près de Madère pour élever avec lui leur enfant. Mais le Capitaine est parti pour un an sur la mer, laissant la jeune femme livrée à elle-même…

Ces misères ne sont que les premières d’une longue série de malentendus et de non-dits qui séparent et font souffrir les deux personnages principaux. On retrouve donc, dans cette "Vénus aveugle", les thèmes qui feront pendant encore des décennies la fortune du mélodrame : la maladie - obstacle à l’amour (1), mais aussi occasion de se sacrifier pour le bonheur de la personne aimée - les amants séparés par la distance, la fille-mère qui doit racheter son péché en devenant une figure exemplaire, voire une sainte…

Le contexte historique dans lequel le film a vu le jour en rend la lecture particulièrement complexe. Tourné en 1940, sorti en 1941 en zone libre, puis dans une version raccourcie en 1943, en zone occupée, Vénus aveugle pouvait-il échapper aux nouveaux impératifs du cinéma français ? En exergue du film, un carton le dédie au Maréchal Pétain. Et il serait facile de lire le film à l’aune de l’idéologie ambiante de cette "nouvelle France".

Ne montre-t-il pas comment une idole, une Vénus païenne peinte sur les paquets de cigarettes, devient un parangon de bonté, une lumière malgré la nuit qui l’entoure ? Viviane Romance a souvent été assignée à ce genre de rôle. Cependant, pourrait-on rétorquer, cette Clarisse est aussi cette aveugle clairvoyante, qui comprend que chacun est plongé dans l’obscurité. On s’égare facilement dans toutes ces lectures. Aussi préférera-t-on faire parler l’image. Et libre à chacun d’y lire ce qu’il voudra y voir.

Et c’est surtout lorsqu’il fait la part belle aux personnages féminins que le film émeut. Vers le milieu du film, la quasi disparition de Madère, (peu) incarné par Georges Flamant, rend bien plus intense la confrontation entre son ancienne maîtresse et son épouse, deux femmes aussi différentes que le jour et la nuit, et qui, pourtant, ont toutes deux cette force qui est souvent l’apanage des héroïnes de mélodrame. Gance sublime le visage de Viviane Romance, cadrant en gros plans ces yeux auxquels la cécité ne peut dérober sa lumière.

Il est aisé de comprendre pourquoi, outre cette ambiguïté idéologique, "Vénus aveugle" a souvent été passée sous silence dans l’œuvre de Gance.

D’une durée inhabituelle, le film se soucie peu de vraisemblance, et tout y est poussé à ce paroxysme. Mais il nous semble qu’il y a de la sincérité dans cette exacerbation, et le charme du film tient peut-être justement à ce que la mise en scène d’Abel Gance est perpétuellement en accord avec les excès de son sujet. Aussi le film offre-t-il des moments d’une rare puissance.

Maître du montage rapide, le cinéaste privilégie avant tout le mouvement, lui qui écrivait que "la possibilité d’inventer des rythmes nouveaux, de capter ceux de la vie, de les intensifier et de les varier à l’infini" était "le problème capital de la technique cinématographique (2).

La scène de rupture entre Clarisse et Madère illustre parfaitement ce point de vue. Le cinéaste alterne des gros plans extrêmement rapides sur les visages des personnages qu’il met en relation avec la tempête qui se déroule au même moment. Et jamais l’on ne vit tempête pareille. Inventeur d’images, Gance transforme la mer déchaînée en flots noirs rendus quasi abstraits par un travail sur le négatif.

Car cette histoire de vision et d’illusion est peut-être, avant tout, une métaphore du cinéma. Gance n’écrivait-il pas que le spectateur est encore aveugle, ne considérait-il pas du devoir du cinéaste de lui ouvrir les yeux pour le doter d’un sens nouveau, le rendre sensible à cette Beauté dont le cinéma est porteur ?

A la fin de "Vénus aveugle", le personnage de l’illusionniste Ulysse est à l’origine de la mise en scène qui dit rendre le sourire à Clarisse ; il recrée une réalité à partir de tous les autres sens. Ce maître inventeur conquiert Clarisse, qui lui affirme sa reconnaissance : comment ne pas aimer ceux qui nous font voir le monde autrement, même si ce n’est qu’une illusion ?

 

(1) La Cinémathèque projettera le très beau "Donne-moi tes yeux" de Guitry, tourné lui aussi durant l’Occupation, et dont le point de départ présente des similarités avec le film de Gance. On ne saurait trop conseiller cette merveille, bouleversante de simplicité.

(2) Conférence à «l’Université des Annales", 22 mars 1929, cité in René JEANNE et Charles FORD, Abel Gance, éditions Cinéma d’aujourd’hui, Seghers, Paris, 1963, p.94


Anne Sivan         
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