Après un jeudi soir consacré aux Insus, qui a coûté en cachet la bagatelle de 350.000 euros à l'organisation du festival, mais réuni 28.000 personnes sur le site, la huitième édition du festival de Beauregard peut véritablement commencer.
Ce sont aux agenais d'AA (à ne pas confondre avec les norvégiens de A-Ha), soutenus par le festival Garorock que revient l'honneur d'ouvrir ces trois jours à Beauregard. Leur pop portée par une rythmique froide et inspirée new wave des années 80 montre que des groupes français continuent à évoluer de belle manière un peu à l'écart des circuits traditionnels. Formés en 2004, AA a travaillé les atmosphères et les mélodies. Leurs boîtes à rythme vintage donnent une touche bien agréable à cette prestation qu'on eut souhaitée plus longue afin de pouvoir les voir plutôt que les entendre uniquement, le temps de faire valider l'accréditation. En même temps, on ne regrette pas de régler quelques aspects administratifs à l'abri avec l'organisation du festival alors que d'énormes averses refroidissent les festivaliers pendant ce premier concert.
On arrive donc devant la grande scène pour assister au concert des havrais de N U I T en une ascension electro cold wave. Passée la première impression étrange de voir ce groupe en plein jour, on découvre des cousins de Grand Blanc qui mâtinent leur électro pop de phrasé rap et de décharges élecriques de guitares. Soutenus par le festival Beauregard, en régionaux de l'étape, N U I T joue devant quelques fans qui ont fait le déplacement aussi pour le groupe. Vraie découverte, malgré encore quelques belles averses.
Emmené par Anton Newcombe, le Brian Jonestown Massacre se présente en grande formation : trois guitaristes, un bassiste, un batteur, un clavier et un joueur de tambourin. Lunettes agréées sécurité sociale et colliers de pacotille obligatoires pour un Anton Newcombe tout de blanc vêtu. Le nouvel album Revelation est cool. Le groupe aussi. La morphine semble bonne en Normandie. Belle prestation. Anton Newcombe revient même seul, à l'issue du concert, remercier les premiers rangs.
Décalage brutal après le rock psyché des Brian Jonestown Massacre, Feu! Chatterton monte sur la grande scène. Après un EP accrocheur et surprenant, suivi d'un album décevant, leur dernier titre en rotation sur Inter ressemble à s'y méprendre à du Alain Barrière. Il est vrai qu'avec la préparation des tournées holographiques de Claude François, Dalida et Sacha Distel, Alain Barrière pourrait retrouver tout son lustre d'antan. C'est en tout cas ce que semble appeler Feu! Chatterton de ses vœux, même si c'est "J'aime regarder les filles" de Patrick Coutin qu'ils reprennent. Soudain, un problème de son de façade prive les festivaliers de musique. Problème heureusement vite résolu. Le concert du groupe me donne envie d'aller voir ailleurs si j'y suis, et en effet, je m'y retrouve.
Nekfeu. Comment dire ? Devant cette question difficile, je reste coi et pars explorer le site. Malgré le terrain lourd, et les spectateurs massés à l'abri sous les tentes, on apprécie toujours autant la propreté du lieu, l'investissement des bénévoles, le bar à vin et le stand d'huîtres. Retour pour la fin de la prestation du rappeur, un concert qui a eu l'heur de satisfaire les plus jeunes festivaliers.
Grand retour de Beck. J'avoue, j'ai un peu abandonné le californien depuis Guero en 2005. Je n'ai même pas écouté Morning Phase en 2014, pourtant album de l'année pour Mojo et vainqueur des Grammy Awards. Sur scène, le californien commence son concert par "Devil's Haircut". En arrière de scène des chiffres défilent sur des écrans géants. Le son est énorme, et le plaisir de Beck et du groupe évident. Puis ce sera une alternance de morceaux récents et de tubes anciens. Habillé de jeans noirs, d'un perfecto et d'un chapeau de cowboy, il danse, fait le show sur "Loser" ou "New Pollution". Avant "Sexlaws", il s'adresse aux spectateurs en leur disant qu'il est heureux de les voir le vendredi lorsqu'ils paraissent encore frais car ils seront bien sales le dimanche. Pour l'ultime morceau du show, "Where's at", il revient habillé d'une veste blanche immaculée. Lors de la présentation des musiciens, ceux-ci alternent des extraits de reprises de Kraftwerk, de Gloria Gaynor ou Bowie. Le show de Beck fut sans conteste des grands sommets de cette première journée.
Avec Ghinzu, on sait qu'il ne peut y avoir que de bonnes surprises. Ce sera un grand concert, ou un concert énorme. Toujours tranchants, quelques morceaux plus calmes se glissent dans la setlist. Le quintet rock bruxellois emmené par John Stargasm livre une prestation éclatante. Que ce soit "Out of Control" ou "Mirror Mirror", les titres sont diablement efficaces et les basses poussées au maximum. La foule suit. Ghinzu su scène, c'est la puissance d'un tremblement de terre et une énorme puissance de feu. Grande prestation de Ghinzu, sombres, hargneux et rock comme on les aime.
Sur la grande scène, dans l'ombre et derrière un écran de fumée, les Chemical Brothers enflamment les premiers rangs. A l'arrière, l'ambiance est plus calme. Après un "Hey Boys! Hey Girls!" très proche de l'album, leur remix de "Temptation" de New Order met tout le monde d'accord. En clôture, "Block Rockin' Beat", même après vingt ans, demeure plus qu'efficace pour réchauffer le public. Gros son, basses énormes, mais lightshow néanmoins un peu timide.
Pour The Shoes, au regard de la triste prestation de l'année dernière au Fnac Live, je traîne les pieds pour me rendre vers la petite scène. Ambiance techno rock pour foire à la saucisse. Leur reprise de "A Forest" de Cure est aussi élégante qu'une trace de pneu dans le fond du slip de Robert Smith et une insulte pour les oreilles. La présence d'une vraie batterie et de véritables percus n'amènent aucun supplément d'âme. L'habillage réalisé à partir de gif animés renforce l'impression d'avoir affaire à des Patrick Sébastien de la techno. Je préfère encore perdre mon temps devant la grande scène en attendant Rone plutôt que continuer à subir ce triste spectacle destiné, semble-t-il, aux seuls festivaliers qui ont décidé de combattre l'humidité et le froid à grand renfort d'alcool.
Derrière sa table, profilée comme un vaisseau spatial, Rone emmène en voyage sonore les derniers festivaliers. L'accompagnement visuel est élégant. Au fur et à mesure que le set progresse, les beats se font plus lourds et les décibels plus nombreuses. Avec Rone, la première journée de Beauregard se termine de manière classieuse.
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