Comédie d'après la pièce de AntonTchekhov, adaptation et mise en scène de Susana Lastreto, avec Alain Carbonnel, Hugues De La Salle, Hélène Hardouin, Juanita Boada, Nathalie Jeannet, Matila Malliarakis, Igor Oberg, Solange Wotkiewicz et les musiciens Annabel de Courson et Jorge Migoya.
"La Cerisaie" de Anton Tchekhov signe la fin d'un monde en Russie, celui de l'ordre social tsariste, sous la poussée des moujiks industrieux et l'émergence du prolétariat qui vont laminer les propriétaires fonciers enrichis par le travail des serfs.
Loubov qui s'est désintéressée de la gestion de son domaine lourdement grevé de dettes, y revient après quelques années de vie dispendieuse à l'étranger pour assister à sa liquidation car refusant la proposition de Lopakhine, fils et petit-fils de serfs qui furent au service de sa famille, de transformer la propriété en lotissement estival.
Ce n'est sans doute pas une coïncidence si l'auteure, comédienne et metteuse en scène Susana Lastreto a choisi cette partition pour sa nouvelle création dans le cadre de la quinzième, et dernière, résidence d'été qu'elle effectue au Théâtre 14 avec sa Compagnie GRRR, et qui clôt donc une belle aventure avant de partir vers de nouveaux lieux et projets.
Sous le titre "La Cerisaie, variations chantées", elle en propose une adaptation en-chantée placée sous le signe d'une "libre rêverie en chansons" qui se veut invocation et évocation des personnages si familiers de cet opus qui figure parmi ceux les plus montés au monde.
Au gré d'une mise en scène fluide, avec des déplacements choraux chorégraphiques et des scènes cinétiques façon gros plan, et de la fraîcheur de jeu des comédiens, la partition en version resserrée est délivrée à la manière d'un album de famille feuilleté avec tendresse et nostalgie au gré des photos un peu jaunies du passé d'où surgissent les visages aimés. Ceux de Loubov, Ania, Varia, Yacha et les autres qui posent en pied, comme sur les photos de groupe, en guise d'introduction actantielle.
Une voile de parachute suffit à camper le décor, celui du manteau de neige d'hiver ou du tapis de fleurs blanches de cerisiers au printemps, et les ponctuations originales composées et exécutées en live par Annabel de Courson, percussionniste et bandonéoniste, et Jorge Migoya, au piano et à la guitare, scandent cet adieu à la Cerisaie au gré de chansons égrenées à la faveur de thématiques communes.
Ces inserts, qui sous-tendent un voyage dans le temps, l'espace et les rythmes musicaux, du Brésil avec la bossa-nova des "Eaux de Mars" à la chanson réaliste du Paris populaire avec "L'amour à la Mouff'", opèrent un étonnant - et réussi - télescopage qui s'avère double avec l'incursion de la réalité dans la fiction sous forme d'instillation d'extraits de la correspondance de l'auteur, afférents à l'écriture et la mise en scène de ce qui sera son ultime opus, délivrés par un Tchekhov juvénile en canotier et tenue de campagne qui virevolte parmi ses personnages.
Et la distribution émérite avec les fidèles de la compagnie, Hélène Hardouin (Loubov) et Igor Oberg (le vieux serviteur), et des petits nouveaux, Juanita Boada (la fille de Loubov), Nathalie Jeannet (Varia) et le quatuor multi-rôles formé par Solange Wotkiewicz, Alain Carbonnel, Hugues De La Salle et Matila Malliarakis, appartenant à la joyeuse équipe des Cabarettistes, assure une interprétation roborative à cette Cerisaie vue sous un nouvel éclairage. |