Réalisé par Paul Greengrass. Etats Unis. Action. 2h049 (Sortie 10 août 2016. Avec Matt Damon, Tommy Lee Jones, Alicia Vikander, Vincent Cassel, Julia Stiles, Riz Ahmed, Ato Essandoh et Scott Shepherd (II).
Mouvements contemporains
Le cinéma d’action est souvent un bon moyen pour prendre le pouls de la nation américaine. Après les films-catastrophe à la mode dans les années 1970, après les films post-11 septembre qui faisaient du terrorisme et de la guerre en Irak leur enjeu scénaristique majeur, le cinéma américain semble à présent tout entier tourné vers la question des médias sociaux et de la surveillance constante que les nouvelles technologies pourraient permettre. Il suffit pour le constater de se rappeler du scénario du "Spectre" de Sam Mendès.
Le dernier "Jason Bourne" ne déroge pas à la règle. Paul Greengrass retrouve Matt Damon, avec qui il avait déjà tourné deux des aventures de l’espion amnésique et l’intéressant "Green Zone", où la légitimité de l’invasion de l’Irak était largement remise en question.
Qu’arrive-t-il donc, cette fois encore, à notre cher Jason Bourne ? Manifestement, l’ancien tueur de la CIA n’est pas au sommet de sa forme… Si, physiquement, il affiche une musculature de plus en plus impressionnante, il semble lancé dans une spirale suicidaire, perdu dans un monde où il n’a plus sa place.
Pendant ce temps, la CIA n’a pas fini de comploter, puisque son directeur, incarné par Tommy Lee Jones, cherche à mettre en place un nouveau programme pour former des tueurs. Mais l’ensemble des archives est piraté par Nicky Pearsons, personnage récurrent des aventures de Bourne. Et Bourne ne trouve à nouveau mêlé dans une sombre affaire qui mêle exploitation des données privées, surveillance, omnipotence des dirigeants et théorie du complot…
Le programme est plutôt alléchant. Mais pour en profiter, il faut arriver à s’habituer à la caméra de Paul Greengrass ; la qualifier de "nerveuse" serait user d’un euphémisme.
Perpétuellement agitée de tremblements, elle fait parfois basculer le film dans un pseudo cinéma vérité plus proche d’un mauvais documentaire que d’une cette grosse production hollywoodienne. Ajoutez à cette caméra tremblotante, imprécise, un montage d’une rapidité extrême, peut-être trop rapide pour une personne qui n’aurait pas suivi une formation accélérée à la CIA.
L’artificialité du procédé est évidente : plutôt que de faire confiance à ce qui se déroule dans le cadre pour créer de l’action, Greengrass semble vouloir susciter le sentiment d’action en agitant la caméra en permanence, tic cinématographique de plus en plus répandu.
Le spectateur en sort avec un sentiment de gâchis. Les personnages sont par exemple plongés dans une manifestation d’une grande violence au cœur d’Athènes. De cette immersion dans le monde contemporain, qui pourrait être visuellement d’une grande puissance, le réalisateur ne fait pas grand-chose. Il choisit de se concentrer sur des scènes d’action, au demeurant assez traditionnelles, sans se soucier beaucoup de ce qui se trouve autour, ne justifiant alors pas le déploiement de figurants mis en place.
Néanmoins, malgré un sentiment de déjà-vu qui fait regretter l’originalité du premier film de la saga, "The Bourne identity" est dotée d’une grande qualité : son héros, toujours en mouvement. La mémoire dans la peau nous faisait découvrir pour la première fois un personnage aux traits encore juvéniles.
Depuis, Matt Damon a vieilli. Son visage et sa carrure se sont épaissies, au point que son charme enfantin a quasiment disparu quand on le retrouve au début du film. Cette évolution ne dessert pas le personnage, au contraire. Sa lourdeur physique, sa lassitude le rendent émouvant.
Et puis, peu à peu, on retrouve le Jason Bourne qu’on connaissait. Rejeté malgré lui dans l’action, le personnage se remet en mouvement. Contrairement aux débuts de la saga, le film propose de moins en moins une alternance de scènes d’actions et de moments de repos. Ces derniers, s’ils existent, restent des moments de mouvement.
Jason Bourne ne s’arrêtera jamais. Les nouvelles technologies sont, dans ce sens, extrêmement bien utilisées. Prestidigitateur émérite, il sait se glisser dans ce monde où l’image est omniprésente, où on peut suivre autrui à distance. Téléphone, GPS, dispositifs d’écoute…
Les frontières du monde sont progressivement abattues au profit d’un monde ouvert où chacun est vulnérable. Et Jason Bourne, parce qu’il se glisse entre les mailles du filet, parce qu’il retourne les armes de son ennemi contre lui, reste un symbole de résistance.
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