"Let us go now, my darling companion. Set out for the distant skies. See the sun. See it rising. See it risng. Rising in your eyes"
"Les arbres se moquent bien du chant des oiseaux…"
On pinaille, on tergiverse. Nick Cave n’aurait rien sorti de bon depuis longtemps, aurait perdu de sa superbe, et sa plus belle période est derrière lui. Nous n’avons pas dû écouter le même disque car Push the Sky Away était tout bonnement superbe. Et qu’on l’accepte ou non, et c’est forcément mieux et plus intéressant musicalement ainsi, sa musique n’a cessé d’évoluer, cherchant toujours à "repousser le ciel".
Nick Cave s’est imposé définitivement comme une figure majeure de la musique rock, noire, habitée et radicale. Skeleton Tree n’est pas encore sorti que la toile et les réseaux sociaux ne parlent que de ce disque. Normal. A chacun de donner son avis, forcément définitif, en une journée, grâce à des liens de téléchargement. C’est assez pittoresque à une époque où l’on ne cesse de parler des qualités d’écoute du disque vinyle, et pas qu’entre parenthèses d’ailleurs, ce n’est pas la plus grande marque de respect pour un musicien et son travail.
Peut-on détacher Skeleton Tree de ce qui est arrivé à son auteur, soit le décès accidentel de son fils ? Un de ses fils s’est tué en juillet 2015 après avoir chuté sous l’emprise du LSD d’une falaise à Brighton. Pour Nick Cave qui avait trouvé une certaine sérénité grâce notamment à sa famille, ce fut un coup dur. Mais pour qui cela ne le serait pas ? La mort d'un enfant va contre le sens même de la vie, quel père ne préférait pas mourir cent fois que de voir partir l’un de ses enfants ? Une grande partie des huit titres ayant été écrits avant l’accident, à peu près au moment où sortait 20 000 Days on Earth, il est donc faux de faire de ce disque une œuvre totalement cathartique.
Pour cela, il faut voir One more time with feeling, documentaire pas forcément génial, réalisé par son ami Andrew Dominik (Chopper, L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford), où l’on assiste à des séances en studio et aux confessions du chanteur sur les répercussions de la mort de son fils sur sa vie, sur sa musique. Seul véritable "beau" moment : le générique de fin où l’on entend les voix des jumeaux Arthur et Earl reprendre "Deep Water", le titre composé par leur père pour Marianne Faithfull est absolument déchirant.
"Nun seh' ich wohl, warum so dunkle Flammen". Si le désespoir, le chagrin sont présents ils sont ailleurs.
Dans la projection que nous en faisons sur les chansons, dans l’interprétation, sombre, habitée et pourtant presque absente parfois, "espressivo con doloroso" et dans les arrangements jouant l’économie (ce qui ne veut pas dire qu’il n'y a pas un véritable travail sur le son) signés par l’omniprésent vieux frère Warren Ellis. Skeleton Tree est donc un disque ambivalent, quelque part entre l’ombre et la lumière que nous voulons y voir, miroir de notre propre détresse. "You grow old and you grow cold". La mort, thème qui traverse l’intégralité de la discographie du musicien Australien, et la religion (le christ, la résignation du legs des âmes à Dieu : "You believe in God, but you get no special dispensation for this belief now" dans "Jesus Alone") sont naturellement présentes encore ici. Mais Skeleton Tree est un disque plus cru, plus brut (le très sombre "Jesus Alone", "Girl In Amber", "Magneto"), intime et bouleversant (le très beau "Distant Sky" en duo avec Else Torp, "I need you").
Quant aux textes ils sont toujours aussi intenses, poésie témoignant d’une profonde mélancolie. "Nun will die Sonn' so hell aufgeh'n". Comment ne pas faire un rapprochement, avec les Kindertotenlieder de Gustav Mahler, recueil de cinq Chants sur la mort d’enfants ? Le sens de cette œuvre est l’espoir d’une rédemption après, mais aussi et surtout par-delà le deuil, espoir qui sera constamment symbolisé par la lumière. Le titre final, "Skeleton Tree" pourrait par ses harmonies majeures symboliser cette lumière. On ne saurait passer également sous silence l’importance de l’orchestration comme porteuse de sens aussi bien dans les Kindertotenlieder que dans ce Skeleton Tree. Dans les deux cas, cette orchestration joue la réduction, le choix du timbre. Il est encore trop tôt pour dire si ce Skeleton Tree marquera la carrière de son auteur, qu’il soit très bien, cela nous pouvons l’affirmer.
"Sunday morning, skeleton tree, Oh, nothing is for free, In the window, a candle, Well, maybe you can see, Fallen leaves thrown across the sky, A jittery TV, Glowing white like fire, Nothing is for free, I called out, I called out, Right across the sea, But the echo comes back in, dear, And nothing is for free"