Montage de textes de Marguerite Duras conçu et mis en scène et dits par Claire Deluca et Jean-Marie Lehec. Dans ce choix de textes de Marguerite Duras, parmi lesquels on trouvera "Les Eaux et Forêts", l'une de ses toutes premières pièces portées au théâtre, on aura l'occasion de découvrir une Duras mal connue, ou plutôt souvent occultée, une Duras qui fait rire et sourire, qui se plaît à naviguer sur les flots d'un absurde joyeux et loufoque, qu'on pourrait rapprocher de celui de François Billetdoux, de Robert Pinget, voire de Raymond Devos ou de Roland Dubillard. Une Duras cocasse, cela peut étonner, mais ceux qui connaissent son œuvre filmée n'ont pas oublié quelques moments de pure drôlerie absurde, comme celui où Gérard Depardieu tente de vendre une machine à laver à Lucia Bose et Jeanne Moreau dans "Nathalie Granger", ou même un film comme "Les Enfants", pure merveille de loufoquerie qui n'attend que d'être redécouvert à l'instar des textes joués et adaptés ici à la perfection par Claire Deluca et Jean-Marie Lehec. Il faut dire que Claire Deluca n'est pas une inconnue pour les durassiens les plus fervents puisqu'elle était, en 1965, dans la distribution qui créa "Les Eaux et Fôrets" au Théâtre Mouffetard. De même, pour un des autres textes repris dans "Duras, de tout...de rien... de rien du tout", "Le Shaga", elle était aussi partie prenante en 1968 lors de sa création au Théâtre Gramont. Cette légitimité émouvante, elle la porte avec toute sa modestie et sa grande puissance d'interprétation. Sa voix et son allure ont une parenté avec Suzanne Flon, avec la manière qu'elle avait d'être dans l'étonnement interrogatif. C'est dire si Claire Deluca était la personne idéale pour redonner vie à cette Duras cachée par les textes autobiographiques et les récits indochinois. En pantalon et veste gris pâle, tenant dans ses mains "Zigou" une espèce de chien elliptique, elle fait face à la jovialité imposante de Jean-Marie Lehec, qui tient un bidon d'essence, et comme Claire Deluca finit par s'asseoir sur une chaise pliable au siège haut. Tous les deux devisent sans élever la voix, mais à bon rythme, cassant là aussi la légende d'une Duras qui nécessite lenteur et pauses. On est sous le charme et surpris, quand on s'aperçoit qu'outre les deux textes des années soixante déjà cités, Claire Deluca et Jean-Marie Lehec en ont choisi plusieurs écrits dans les années 1980-1990, c'est-à dire tardivement dans la vie de Marguerite, à une période que l'on croit bien connaître et où elle semble avoir adopté un style d'écriture univoque. C'est tout l'intérêt de ce spectacle de montrer à qui l'avait oublié que l'oeuvre durassienne est un continent qui ne pourra pas éternellement prêter les flancs à des critiques sarcastiques et caricaturales. On remerciera Claire et Jean-Marie de se prêter à ce bel exercice d'admiration qui montre que la prose de Marguerite Duras n'a pas fini de résonner sur les scènes dans ce siècle qu'elle n'aura pas connu, mais annoncé par bien des côtés. |