Monologue dramatique de Samuel Beckett dit par Serge Merlin dans une mise en scène de Alain Françon.
"Séjour où des corps vont cherchant chacun son dépeupleur". C'est ainsi que commence le monologue de Samuel Beckett intitulé "Le Dépeupleur". De ce nom-titre, une fois passée cette première phrase, il ne sera plus question, ajoutant un mystère à ce texte mystérieux, laissant peut-être entendre que la clé de l'énigme est à chercher en la personne du narrateur. Peut-être celui-ci en sait-il long sur celui-là, ou, hypothèse extrême, le narrateur et le dépeupleur ne font-ils qu'un ? Mais le narrateur s'en tient - officiellement - à son récit : il n'explique rien, il décrit et l'on comprend bien que ce qu'il raconte peut se lire comme un témoignage sur la mort au travail, sur l'impossibilité d'y échapper ou bien constituer la métaphore de l'horreur concentrationnaire. Qui dit, autre hypothèse, que ce volubile conteur comptable de ce monde absurde n'est pas un simple "fou", voire un "savant fou", enfermé dans une pièce capitonnée ? Ce qui expliquerait l'équation griffonnée sur un des murs de la scène. Ce qui justifierait le "trou" au milieu du plateau. Trou pouvant représenter le monde où des corps vont cherchant chacun leur dépeupleur, puisqu'il a la forme d'un grand cercle à l'intérieur duquel pendouillent ce qui pourraient constituer les fameuses échelles décrites quelques mots plus loin par le narrateur... Ce qui est certain, c'est que celui-ci est bien vivant dans son grand manteau vert, digne de celui du professeur Tournesol, abritant une chemise blanche et un pantalon noir tenu par des bretelles. Ce qui est certain c'est qu'il est joué par l'un des plus grands acteurs français, l'un des plus grands beckettiens. Qu'il est ici au-delà de l’excellence et que son numéro est prodigieux et inoubliable. On l'a connu dans une période "bernhardienne" qui avait un peu poussé son jeu vers l'outrance, la rouspétance. On se doute qu'il lui était difficile de ne pas être emporté par le flot vaticinant de Thomas Bernhard. Dans "Le Dépeupleur", il se retrouve complètement. Il dit avec délectation une prose qui est ce beau français écrit par un Irlandais. Serge Merlin est profondément humain. Dans la mise en scène complice d'Alain Françon, la belle illustration de l'univers beckettien par le décor de Jacques Gabel, par ailleurs responsable de ce manteau beau dans sa démesure, il compose ou hallucine, baguette de magicien ou de chef d'orchestre en main, une utopie meurtrière comme le siècle passé en a tant composé ou halluciner. Un spectacle qu'on n'est pas prêt d'oublier. |