Auteur-illustrateur de livres pour la jeunesse et scénariste pour la radio et la télévision, l'auteur anglais Mark Haddon a reçu le prestigieux prix Whitbread 2003 pour "Le bizarre incident du chien dans la nuit", best seller unanimement salué par la critique.
Ce roman léger sur un sujet grave est comme une bulle de savon moirée qui volette dans les airs avant de venir éclater en quelques gouttelettes infinitésimales sur notre nez.
La découverte du chien de la voisine, transpercé par une fourche au milieu de la pelouse, perturbe le quotidien très ritualisé de Christopher, un jeune autiste. Comme pour lui, fan de la logique imparable de Sherlock Holmès, tout peut, et doit s'expliquer de manière rigoureuse, il décide de mener l'enquête et donc, pour la première fois, sortir de ce que Bruno Bettelheim appelait la forteresse vide.
Ce qui n'est pas chose aisée puisque cela passe par la perception du monde qui l'entoure, la planification d'une action et la maîtrise de son exécution, le décryptage de la pensée d'autrui et des codes sociaux, autant de fonctions qui lui sont totalement étrangères.
C'est frais, plein d'humour, sans misérabilisme ni voyeurisme, et étonnamment roboratif.
Mark Haddon parvient d'une part à nous intéresser à la situation d'un enfant qui évolue dans une autre dimension que la nôtre, doté d'un solide bon sens, d'ironie quand il compare le chien à Steve un élève de son institution (comme quoi on est toujours le "mongolien" de quelqu'un) et presque capable de dérision quand il dit se détendre en faisant des maths.
D'une certaine manière, Mark Haddon part du postulat que l'autiste, observateur factuel parfait, voit le monde dans sa vraie réalité et non tel qu'il est transformé et fantasmé par les personnes dites normales dont la perception est totalement parasitée par les sentiments et l'expérience cognitive. Mais il illustre aussi les dernières recherches en la matière qui démontreraient qu'un autiste peut s'adapter partiellement et temporairement à la société dès lors qu'il est mu par une puissante motivation.
D'autre part à nous livrer une jolie satire du monde contemporain. Tel un Candide qui se demande "Comment peut-on être humain ?", Christopher ouvre pour la première fois la porte sur le monde à la fois incohérent et effrayant qui l'entoure pour vivre une épopée qui s'inscrit dans une sorte de parcours initiatique, de quête à la recherche de soi in situ.
Bien sûr, Christophe est un autiste dit "Asperger" c'est-à-dire un autiste de haut niveau et le dénouement en sacro-saint happy end cher aux anglosaxons ne doit pas laisser croire aux miracles. Mais il ne faut pas refermer une porte qui s'ouvre.
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