Pour clôturer en beauté sa trentième édition, le Tourcoing Jazz Festival s’est orné de trois bougies venues d’horizons différents, sur une même scène, dédiée aux belles voix marquées et aux univers très personnels. Pendant 45 minutes chacune, Dom La Nena la brésilienne, Lianne La Havas l’anglaise et Selah Sue la belge se sont succédées pour des concerts solo, sous l’intitulé "One night with", rivalisant de joliesse et de bonnes ondes.
La nuit commence donc avec cette demoiselle du sud ; brésilienne ayant vécu à Paris et à Buenos Aires, Dom La Nena pirouette aussi parmi les langues, les instruments. Elle promène ses ballades douces autour d’un violoncelle, un bracelet de grelots à son pied, un ukulélé, des percussions, des boucles de son, et tout ça tempête parfois, s’emporte et devient fou, et le public se lève pour une "petite salsa" et elle poursuit la danse avec des reprises, dont celle de "Des coups, des coeurs" des magnifiques Mansfield Tya, brutalisant debout son violoncelle.
Quand elle chante en portugais, c’est étonnant cette langue si sobre, sombre, et cette tessiture de toute jeune fille mélangées, mais la fraîcheur des 27 ans de cette elfe d’ambre prend le pas sur tout le reste quand il est question de spectacle, elle se régale dans un français sans accent, d’échanger, d’inviter, de raconter. Fraîcheur de vivre, et beaucoup de professionnalisme. N’y a-t-il pas un petit système derrière ceci ? Une petite impression de trop préparé, trop propre, très appliqué. Mais qui fonctionne, ça va de soi.
Puis vint Lianne La Havas. Très grande et splendide jeune femme (27 ans aussi ! mais on ne les croirait pas de la même génération). Un port royal, un toucher de guitare blues à souhait, qu’elle accompagne de sa voix soul, une voix qui a sacrément de coffre. Et on se souvient alors que ce sont des concerts solo en fait. Le premier se trouvait finalement ornementé de plein d’interventions, d’enregistrement certes faits sur l’instant, mais donnant l’impression d’un groupe invisible sans l’osmose, alors que là c’est dépouillé : sa gratte et son couteau enfin, son organe. Le public réchauffé par la première partie suit et répond au moindre claquement de doigts, encouragé par les sourires épanouis de la Lianne. Elle enchaîne les titres, très différents de ses sets en groupe, gagnant ce qu’ils ont délaissé d’arrangements "Rn’B". Son titre "Unstoppable", dénudé de ses nappes un peu guimauves, c’est quand même mieux. Reconnaissons qu’à la longue, arpèges et vocalises, vocalises et arpèges, ça en touche une sans trop faire bouger l’autre (oreille, ça va de soi).
Et enfin Selah Sue fit son entrée. "Enfin" parce que manifestement elle n’a que des amoureux dans la salle. Encore une jeune femme pleine de bonnes intentions (attendez… ah oui : 27 ans ! C’est une thématique ?).
On retrouve sa voix groove, qu’elle accompagne à la guitare, et un tout petit intrus s’est glissé dans le programme solo : un homme derrière un piano, mais en fait la mignonne nous apprendra que c’est sa moitié alors on dira que ça passe, le compte y est. Des trois c’est peut-être celle qui donne le plus directement, le plus simplement, le plus premier degré. Mais la nature de ses compositions n’est peut-être pas inconnue à cette impression : derrière des tubes "neo-soul", il y a parfois des titres originellement plus "down tempo", qu’elle dit préférer (pour "Alone" par exemple) et dont elle nous donne ici un aperçu. Et on se dit que le marketing, c’est décidément le mal. Instant Confessions intimes quand elle dédicace un titre à sa môman, annonçant qu’elle va tenter de suivre son exemple en dévoilant son profil arrondi "en exclusivité". Selah Sue, elle donne l’impression d’être une fille sympa ; et c’est pas le parterre de transies et transis qui va nous contredire. Ça va de… vous me suivez.
Alors résumons-nous : une soirée qui n’aurait peut-être pas totalement plu à "ceux qui aiment le jazz et ses kilomètres de phrases", mais qui a manifestement trouvé son public pour ce dernier soir de festival, présentant des artistes accomplies ou pas tout à fait, mais de toutes façons prometteuses et permettant de vivre des moments touchants, avec l’espoir que la prochaine fois on aura droit à un peu plus de tripes à l’air, obscènes que nous sommes. Longue longue vie à ce festival de Tourcoing et que tous nous grandissions avec lui.
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