Le label Saravah a été créé par Pierre Barouh il y a 50 ans. On y croise les premiers albums de défricheurs de la chanson française (Higelin, Fontaine...), les premiers témoignages discographiques de la samba (Baden Powell de Aquino), des airs de Francis Lai à rattacher au cinéma ("Un homme et une femme", "A bicyclette" d'Yves Montand...). A 82 ans, Pierre Barouh a certes perdu des compagnons de route, mais il mord encore la vie à pleine dents. C'est lui qui officiait comme Monsieur Loyal de cette soirée où étaient annoncés Albin de la Simone, Arthur H, Daniel Mille, Bastien Lallemant, Jeanne Cherhal, Maïa Barouh, Séverin, et d'autres invités.
C'est sous le signe du jazz que Pierre Barouh entame la soirée en interprétant "L'allégresse" en compagnie de Daniel Mille à l'accordéon. Le ton est donné, celui des "rois du slow bizz", des amitiés longues et des chemins de traverse.
Ainsi, en première partie, on entendra Alexandra Gatica et Albin de la Simone interpréter "Cet enfant que je t'avais fait" ou Albin de la Simone et Bastien Lallemant reprendre "A bicyclette" d'Yves Montand, une chanson écrite par Pierre Barouh et Francis Lai. Un des grands moments de la soirée aura lieu en compagnie de Séverin et Jeanne Cherhal qui interpréteront une version magnifique de la chanson de Brigitte Fontaine, enregistrée en 1968, "Dommage que tu sois mort".
Après un court entracte, c'est en compagnie d'Arthur H, dont le père Jacques Higelin fut l'un des fers de lance du label Saravah, et de Maïa Barouh, la fille de Pierre, que le spectacle reprend avec une version joyeusement dilettante de "C'est normal", immortalisée par Areski et Brigitte Fontaine en 1973 et qui n'a pas pris une ride. Maïa Barouh continuera par deux morceaux à la flûte dans une veine jazz / world, dont "Vivre" de Pierre Barouh et Francis Lai. C'est ensuite Claire Elzière qui viendra interpréter deux inédits, dont les auteurs n'avaient laissé que les textes à Saravah avant de décéder, "Les mots" d'Allain Leprest et une chanson de Pierre Louki, avant que le Quartet Buccal se lance dans une interprétation a cappella et au cordeau du "Funambule" de Jean-Roger Caussimon.
Tous les participants se sont ensuite retrouvés sur scène pour "Le Kabaret de la Dernière chance" avant de descendre dans la salle pour interpréter ensemble "Boule qui roule" de Daniel Lavoie, chanson qui aux dires de Pierre Barouh contient tout ce qui l'a encouragé à mener l'aventure Saravah.
Cette soirée s'est inscrite dans l'esthétique propre à ce label peu conventionnel. Les inter-plateaux étaient parfois un peu longs, les interventions un peu foutraques, mais l'envie de découverte et la passion de la création sont des valeurs que n'ont que peu à voir avec l'obligation d'efficacité de l'époque actuelle. L'histoire de Saravah est celle de la victoire des valeurs d'amitié et d'ouverture sur les diktats de l'industrie musicale.
Au regard de la génération des artistes entendus sur scène, mais aussi aperçus dans la salle (Clio, Pauline Drand, Veronica Charnley du groupe Plumes, ou encore Etienne Champollion), Pierre Barouh a démontré que la musique et la chanson vivaient au-delà des interprètes, que ce bien immatériel se transmettait de génération en génération comme les gestes et le savoir-faire d'un artisan particulièrement doué. |