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Interview  (Hôtel Alba Opéra, Paris)  mercredi 28 septembre 2016

C'est dans la cour d'un hôtel parisien que nous rencontrons de nouveau Romain Humeau pour parler de son nouvel album Mousquetaire#1, sorti le 30 septembre.

Ton dernier album solo remonte à 11 ans, entre temps, il y a eu Eiffel, pleins d'autres projets... Pourquoi maintenant et pourquoi avoir attendu si longtemps pour refaire un album solo ?

Romain Humeau : Jusqu'à Foule Monstre, ce n'était pas possible. Après la pause pour L'éternité de l'instant, avec Eiffel on avait envie d’enchaîner un peu les disques. On en a finalement fait trois (Tandoori, A Tout Moment et Foule Monstre). Il y a eu un petit problème de maison de disque entre Tandoori et A Tout Moment, ce qui a un peu retardé le truc...

Mais effectivement, en septembre 2012, dès le début de la tournée Foule Monstre, j'ai commencé à écrire Mousquetaire. Le disque qui sort aujourd'hui, en terme d'écriture, commence à avoir trois ans et demi / quatre ans. Après la tournée Foule Monstre, on s'était dit qu'on allait faire une pause avec Eiffel : chacun fait ce qu'il a envie de faire. C'est le désir de tout le monde dans le groupe, ce n'est pas moi qui instaure la pause, c'est une envie commune.

J'ai ensuite commencé à enregistrer en décembre 2012. En même temps, j'avais écrit trois chansons pour Bernard Lavilliers. Ils les a prises et je suis monté à Paris pour finir avec lui le titre "Scorpion". On est restés une journée ensemble, je lui ai trouvé le refrain, j'ai fait la maquette. Il m'a dit : "Toi, tu me plais bien..." et j'ai donc réalisé sept ou huit titres sur l'album Baron Samedi. Ça a rajouté deux / trois mois dans la vue...

Pendant ce temps, je continuais à écrire des chansons. Je suis donc revenu donc vers mon album solo et là, Alexandre Plank me branche sur l'adaptation de Vendredi ou les Limbes du Pacifique. J'ai écrit 25 pièces, 17 intrus et 8 chansons. Résultat : 5 mois dans la vue...

Je reviens sur Mousquetaire, j'avais encore écrit d'autres chansons donc à la place de 12, j'en ai 20 puis 22, etc. Pour finir, Bernard Lavilliers m'a rappelé pour que je réalise Acoustique... Donc en 4 ans, j'ai écrit 25 chansons pour Vendredi ou les Limbes du Pacifique et 30 pour Mousquetaire. Vendredi ou les Limbes du Pacifique est sorti en disque l'an dernier, Mousquetaire #1 sort maintenant et Mousquetaire #2 est quasiment fini. Donc en quasiment 4 ans, j'aurai sorti trois albums et j'en aurai produit deux pour Lavilliers !

J'ai accepté de faire plein d'autres choses, pour moi et pour les autres, en parallèle qui m'ont excité et donc Mousquetaire #1, que j'imaginais sortir mi 2013, n'arrive que maintenant. Mais c'est bien car j'ai fait Vendredi ou les Limbes du Pacifique qui, pour moi, est un album. On va le jouer fin 2017, avec 30 ou 40 dates avec Denis Lavant. Et avec Bernard, j'ai appris beaucoup de choses, on est devenus très amis.

J'en suis au stade où j'ai fini Mousquetaire # 2 mais j'ai déjà écrit un autre solo et aussi des chansons pour Eiffel...

Justement, quelle est la différence entre tes chansons et celles d'Eiffel ?

Romain Humeau : Tout se ressemble en terme de premier jet : j'ai une guitare, un piano, j'écris une chanson. Par contre, dans la volonté de production, d'arrangement, d'orchestration, d'écriture de texte, j'ai un axe beaucoup plus intime en solo. Que se soit sur L'éternité de l'instant ou ce disque-là. Pour moi, Eiffel est très différent de Romain Humeau, même si c'est la même personne qui écrit les chansons.

Tu t'autorises plus de choses, d'autres directions...

Romain Humeau : Je ne m'autorise pas les mêmes choses. Je ne pense pas qu'être seul te rende plus libre. Être seul ne me rend pas plus libre que je ne le suis dans Eiffel mais ce n'est pas le même carcan.

Eiffel est un carcan rock, basse / guitare / batterie, qu'on ouvre un peu sur les disques mais ça tourne autour de ça. Il y a des postes, des rôles. Quand je suis en solo, il n'y a pas de rôle. Sur le disque, j'ai joué 95% des instruments. Il y a l'apport à la batterie de Guillaume Marsault sur certains titres, l'apport d'Estelle, de Joe et Ella Doherty. Nicolas Bonnière a bossé dessus mais pas en tant que guitariste : il m'a aidé à co-réaliser le disque ; c'est un autre rôle car il est également producteur.

Quand tu pars dans un projet, en général, il faut absolument créer des limites, des frontières, c'est là où tu es libre. Tu n'es pas libre dans rien, on est libre que par rapport à un contre. Ces frontières ne sont pas du tout les mêmes quand je suis en solo ou quand je suis avec Eiffel.

On sent que sur ce disque, tu explores plus de sonorités, plus d’instruments (banjo, oud, clavecin...), ce que tu ne fais pas forcément avec Eiffel.

Romain Humeau : Non, ou alors par petites touches, c'est en plus. Alors que là, par exemple, "Politkovskaïa" tient sur un clavecin. Avec Eiffel, on ne ferait pas ça, on pourrait mettre quelques notes de clavecin mais il y aurait des guitares derrière ! Là, ce n'est pas le cas... tout est plus ou moins comme ça dans ce disque.

Pour Mousquetaire #2, c'est un peu plus explosé : il y a des choses beaucoup plus douces, il y a deux / trois trucs ultra punk, des trucs assez durs, du rap... Ce n'est pas moi qui ai décidé de faire deux volumes, c'est la maison de disque. Pour moi, ce n'est qu'une phrase coupée en deux.

D'ailleurs, sur Vendredi, tu partais un peu comme ça, il y avait des trucs un peu plus rap puis des choses plus calmes, plus posées.

Romain Humeau : Oui, c'est la même période puisque j'ai fait Vendredi au milieu mais je voulais des choses beaucoup plus douces dans Vendredi. Pour moi, dans Mousquetaire #1, ce sont les textes les plus durs mais ils ne sont pas dit de manière dure, j'ai chanté comme un enfant.

Moins "rentre-dedans"...

Romain Humeau : Oui, ça me fait chier ! Le faire tout le temps, ça ne m’intéresse pas. Le faire quand j'en ai envie : oui ! Mais je ne suis pas une machine à qui tu dis : "Romain, va crier un peu" ! Là, je n'ai surtout pas envie de ça !

Au niveau des textes, j'ai été surpris qu'il y en ait autant en anglais...

Romain Humeau : Oui, je savais très bien que le fait que ça soit moins abrasif en terme de son, moins "rock'n'roll"... enfin je pense que c'est un album assez "rock'n'roll" dans ce que ça dit : "Politkovskaïa", par exemple, ce n'est pas rock'n'roll dans le son mais le texte est dangereux pour moi.

Je suis persuadé qu'il y a beaucoup de gens qui aiment Eiffel parce que pour eux, c'est une image de rock français. Pour moi, ça n'a jamais été ça. Le rock français, je ne connais pas, je m'en fous un peu... Je préfère la chanson française.

J'ai toujours été très influencé par les Beatles, les Pixies, par Damon Albarn, par David Bowie... Ce n'est pas pour ça que j'ai chanté en anglais. J'aime bien les mélodies et il y a plein de mélodies qu'il était impossible de mettre en français, donc pour les garder, je les ai chantées en anglais... avec mon accent qui est ce qu'il est ! Avec mon écriture qui est beaucoup ancrée en français.

J'aimais bien l'idée de l'écriture naïve, comme pour "Futures" qui est une chanson politique. J'adore "Imagine" de John Lennon : quand tu relis le texte, tu te dis c'est une peinture naïve, c'est trois fois rien... j'adore ça. Tu peux le faire en anglais mais pas en français. Tu fais ça en français, c'est mort, tu as l'air d'un con ! "Something I Can't Touch" est une chanson d'amour, en anglais. J'ai beaucoup de plaisir à chanter en anglais car je peux chanter la mélodie qui m'éclate. J'ai toujours adoré faire des reprises en anglais.

J'ai pu entendre ici ou là que les gens sont étonnés, voire rebutés... Des fans d'Eiffel qui disent : "Merde, qu'est-ce qu'il fait...". Oui mais moi, je ne vais pas faire la même chose à chaque fois. Ça ne m’intéresse pas du tout de refaire un autre Bigger and biggest ou un Sombre. Elle sont là les chansons, on les rejouera plus tard avec Eiffel mais je ne vais pas refaire la même chose pour dire : "Regardez, je me ressemble !" Je n'ai pas envie de me ressembler ! J'ai envie de changer tout le temps. C'est là où j'adore Damon Albarn ou David Bowie.

Les thèmes des textes sont étendus...

Romain Humeau : J'ai toujours eu des thèmes de prédilection. Cette fois-ci, je les ai bien dépiautés.

Une histoire par titre...

Romain Humeau : Un petit peu, oui. "Marjane" sur la venue au monde, "Saragosse" est inspirée du "Manuscrit trouvé à Saragosse" de Jean Potocki : un mélange d’érotisme, de pornographie et d'anticipation... j'adore ça. "Collatéral » est une chanson sur le vote blanc, qui dit que je vais voter blanc la prochaine fois. Ce sera la première fois de ma vie car j'ai toujours voté contre... j'en ai ras le cul. J'ai envie que soit pris en compte le fait que je ne suis pas d'accord avec ce que l'on me propose.

Avec de l'humour... comme le titre "Mousquetaire", ça veut rien dire... j'aime comme ça sonne mais c'est tout ! J'me fous un peu de ma gueule.

D'où te vient le choix de tes thèmes ?

Romain Humeau : Ce sont des pulsions, des moments très courts... Par exemple, "Politkovskaïa", pour moi, c'était capital, j'avais le début depuis un moment... 5 / 6 ans, elle aurait presque pu être sur Tandoori mais elle n'était pas finie.

"Velours de gosse" est sur une chanson sur la fabrication de petit kamikaze en banlieue, avec une référence à "Sam Hall" qui était une vieille chanson chantée par Johnny Cash. C'est une chanson qui a évolué tout au long des siècles et qui s'est transformée. Johnny Cash a contribué à ça, Alain Bashung aussi et moi je continue avec l'actualité... mais l'actualité d'il y a trois ans. Je l'ai écrite il y a trois ans, cette chanson.

Ça m'effraie un peu de chanter des trucs comme ça après ce qui s'est passé au Bataclan. J'ai été traumatisé par le Bataclan. Je ne sais pas combien de fois on a joué là-bas, la vue de la salle depuis la scène, les loges... même en temps que spectateur, j'y ai vu des concerts merveilleux ! Alors je me retrouve à chanter ça, sachant que je l'ai écrite il y a trois ans, c'est ridicule presque... mais je l'ai écrite.

La chanson "Paris"vient de l'époque où tu étais parisien ?

Romain Humeau : Cela doit y faire référence un petit peu mais ça fait tellement longtemps. J'adore la ville de Paris, pour ce qu'elle véhicule historiquement et ce qu'elle contient de fantômes et de passé, d'histoire. C'est un lieu... un lieu presque sacré.

Mais quand j'y viens, parfois je ne comprends pas comment les gens y vivent, j'hallucine. Je ne suis pas à dire "Parigot, tête de veau"... pas du tout, j'ai été parisien. Pour moi, parisien, c'est un regroupement de gens qui viennent de la province pour chercher un trésor qui n'existe pas... Il n'y a pas de trésor à Paris : il y a du business, de la hype, du buzz, une impression de "c'est là qu'il faut être pour que les choses...". C'est un contenant Paris.

J'y ai des amis très chers, j'adore me balader dans les grandes allées, j'adore aller aux Abesses, aux Tuilerie, dans les musées... J'y ai passé pas mal de temps pour Vendredi ou les Limbes du Pacifique. La chanson, je l'ai commencée en remontant de Boulainvilliers, derrière Radio France : je traverse au feu vert piéton et je me fais klaxonner... après, il y a un mec qui ne me dit même pas bonjour quand je lui demande un café... C'était un cumul... Il y a ça partout, dans plein de villes mais c'était cumulé. Et puis, quand tu respires, c'est de la purée... Je suis rue des Martyrs, une rue que j'aime beaucoup mais en ce moment, c'est de la purée. On ne s'en rend plus compte quand on y vit.

Mais pour "Paris", je voulais faire une chanson d'amour, qui dise "Paris je t'aime" et puis surtout, avoir une chanson qui s'appelle "Paris", la millionième ! Il y a pleins de chansons qui s'appellent "Paris", je voulais utiliser ce lieu commun. La dernière en date, c'est celle de Zaz. Elle m'a tellement énervé que j'ai dit : "je vais en faire une aussi" !

J'ai fait une chanson d'amour mais avec des préliminaires pas super cool. Et ça monte pour arriver à "Paris sous ton manteau de peine, c'est toi la plus jolie, quand même". Il y a six couplets, six tableaux... J'en avais pleins d'autres : des beaucoup plus tendres et d'autres beaucoup plus "rentre-dedans". Je l'ai axée comme ça. Le couplet sur les médias, on m'a demandé carrément de l'enlever, j'ai refusé...

On arrive au cinquième couplet : Bordeaux. Juste pour mettre quelque chose dans le genre "Bordeaux... faut pas rêver non plus"... pour pas que les gens croient que c'est une chanson anti-parisiens... C'est plutôt une chanson d'amour alors que la chanson "Amour" est plutôt une chanson de guerre !

"Paris" aurait dû être le premier single mais vu les événements, on a préféré attendre. Par contre, je n'ai pas voulu changer la chanson. On vit des périodes mouvementées. Moi, j'ai peur... J'en discutais avec Bernard Lavilliers, il me disait : "j'ai peur aussi... celui qui n'a pas peur est un menteur !" Je ne te cache pas que je nai pas envie d'être dans des loges en ce moment, je flippe sévère.

En parlant de loges, bientôt la tournée. Paris, le même jour que les Pixies...

Romain Humeau : Ouais... putain ! Les boules pour deux raisons : j'aurais bien aimé aller les voir et il y a une partie des gens qui auraient pu venir à mon concert qui vont aller voir les Pixies.

Hugo Cechosz fait son retour à tes côtés...

Romain Humeau : Oui, Hugo, Nicolas Bonnières, Guillaume Marsault, Estelle Humeau. Ça va tabasser mais pas être rock... ça va être ultra puissant !

Au niveau de la playlist, tu vas refaire des titres de L'éternité de l'instant ?

Romain Humeau : On a répété 13 titres de Mousquetaire #1, 6 titres de Mousquetaire #2, 5 titres de L'éternité de l'instant, 1 titre de Vendredi ou les Limbes du Pacifique et 6 reprises... On ne pourra pas tout jouer mais on les a bossés !

Tu continues à cloisonner et ne pas jouer d'Eiffel pendant tes tournées solo ?

Romain Humeau : Non, puisqu'on va revenir avec Eiffel... Eiffel c'est Eiffel... Peut-être que quand j'aurais 80 berges, je jouerai toutes les chansons que j'ai écrites, tout seul à la guitare... Et puis, je n'en ressens pas le besoin, je n'ai pas envie de jouer du Eiffel, j'ai plein de chansons...

Je t'ai vu à la soirée hommage à Léo Ferré, à la Maison de la Radio...

Romain Humeau : Oui, j'ai des retours de dingues, des mails de remerciements... c'est un super truc pour moi, ça ouvre pas mal de portes aussi pour Mousquetaire #1.

Avec un spectateur spécial...

Romain Humeau : Oui, je lui ai claqué la bise, j'ai parlé un quart d'heure avec lui après, dans les loges... c'était fou ! Je ne m'attendais pas du tout à parler avec le Président. C'était chouette, malgré des choses que je peux penser... c'était bien.

D'autres projets en cours ?

Romain Humeau : Non. C'était une commande que j'ai acceptée car j'aime beaucoup Léo Ferré. On s'est éclatés ! C'est tombé comme ça, on a répété 24 jours sur Mousquetaire #1, on a enchaîné dix jours pour monter la soirée Ferré. Là, je termine la promo demain, on rentre mercredi. Puis 6 jours de résidence pour la tournée Mousquetaire #1 donc il faut re-rentrer dans les morceaux...

Après la tournée, on se revoit donc l'année prochaine pour Mousquetaire #2 ?

Romain Humeau : Oui ! Je ne sais pas quel mois mais l'an prochain, ça va sortir !

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Crédits photos : Thomy Keat (retrouvez toute la série sur Taste Of Indie)


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# 03 novembre 2024 :Pendant que l'on retient notre souffle

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