Il n’y aura aucun spoiler dans cette chronique. Combien d’"Elles" ? Vous les compterez en lisant ce roman dérangeant. Dérangeant, vraiment ? Oui, pour moi en tous les cas, tant il reflète les malaises de notre société sans repères sûrs. La question que l’on doit se poser : qu’est-ce que l’amour ? Car ce mot est un peu un fourre-tout et on ne sait plus vraiment sa valeur, ses nuances. Notre société est en mal d’amour.
Stéphane Jouanny a 29 ans, un master de psychologique en poche. Il a une écriture poétique, ces phrases sont d’une beauté dont il vaudrait la peine d’en recopier beaucoup, beaucoup trop d’ailleurs : presque le livre entier. Voici un tout petit exemple, le meilleur ? Non je ne pense pas, mais suffisant : "Cet amour qui rôde comme une menace à la surface de mon cœur, armé de ces notes graves qu’on expulse de la chair des violons". Ce petit extrait vous montre, je l’espère, la qualité de l’écriture de Stéphane Jouanny, il pose sa plume sur le papier pour écrire des mots qui veulent dire pas simplement des phrases pour remplir des pages et des pages ennuyeuses : il y a de quoi réfléchir en lisant ce jeune écrivain qui promet. Posons une première question à l’auteur.
D'où vous vient cette poésie des mots (car votre livre est écrit de façon très poétique) ?
Stéphane Jouanny : Cet amour des mots provient de la chanson française. Quasi-exclusivement. De l’adolescence jusqu’à aujourd’hui, j’ai accumulé cette dose de poésie en écoutant Gainsbourg, Aznavour, Balavoine, Léo Ferré... puis plus récemment des artistes comme Fauve ou Cyril Mokaiesh. Ce sont donc les textes et les mélodies qui me donnent ce souffle poétique.
Un souffle poétique qui vous porte, et c’est vrai que la musique y est présente, plusieurs groupes y sont nommés. Un souffle poétique, ne vous y trompez pas l’histoire n’a rien d’un roman à l’eau de rose. L’auteur analyse les sentiments des hommes qui d’un sommet peuvent descendre dans les abysses voire pire. Combien ce roman psychologique peut nous garder en éveil. Pour un lecteur rapide, il va le dévorer d’une traite. Il est difficile d’attendre la suite, que va-t-il arriver à Jules psychologue aux méthodes surprenantes ? Que sera son histoire qu’il se raconte, qu’il nous raconte ? Alors une question coule de source :
Stéphane Jouanny se retrouve-t-il dans l'un des personnages ?
Stéphane Jouanny : Jules, c’est tout simplement moi dans une autre vie que celle-ci. À travers lui, j’y expose mes émotions, mes craintes et ma vision du monde. Mais si c’est un personnage construit à partir de mes expériences passées, il vit tout de même les siennes. C’est d’ailleurs le seul point qui nous distingue véritablement.
Franchement en lisant ce petit chef-d’œuvre d’écriture, on s’en doute fort au bout d’un moment. Pourquoi ? Les mots posés sur la feuille gourmande sont tellement lourds de sens, et légers de beauté fine et sombre aussi, que ce n’est que l’auteur qui peut exprimer ainsi ce que vit Jules. Ce n’est pas rien d’aborder l’esprit de Jules. Son analyse de notre société résonne vrai, tristement vrai, dramatiquement vrai, qu’il faudrait réagir d’urgence pour freiner la machine qui n’a plus de conducteur, où qui refuse d’en avoir un : "la foi que tu as, garde-la pour toi" nous dit-on, alors comme chacun a forcément raison, sa raison, il n’y a plus de vérité, l’amour plus de règle, le mot plus de sens. Et en parlant de mots, cette dernière question sent bon l’évidence :
Est-ce que vous pensez que votre livre est accessible à tout le monde, ou visez-vous une certaine catégorie de personnes ?
Stéphane Jouanny : Je n’écris pas pour une catégorie particulière. J’écris pour tout le monde, en essayant de partager mes émotions et ma philosophie. Sans cesse, j’essaie de retranscrire de manière précise des tranches de vies, vécues ou imaginées, mais toujours proches de la réalité franche et lucide. C’est d’ailleurs cet unique objectif qui me pousse à écrire : donner aux autres, en partageant un peu de moi-même.
Cette réalité de notre monde qui part à la dérive, est bien décrite en tous les cas, c’est certain dans cet ouvrage puissant. Mais est-ce que vraiment tout le monde va pouvoir lire et surtout comprendre ce que l’auteur veut partager ? Car au-delà d’une histoire tragique, un drame moderne, réaliste, il y a peut-être encore une parabole. Je n’ai pas demandé à l’auteur, mais ce serait intéressant de savoir si d’y voir une parabole dans l’aventure de Jules, même si Jules est un peu Stéphane, est une mauvaise compréhension, une exagération ? Le nombre de "Elles" n’est-il pas un peu symbolique ? Comme les prénoms, l’agencement des événements qui ne manqueront pas de vous surprendre ? Nous aurons peut-être un jour la réponse.
Vous pouvez la donner aussi chers lecteurs, en écrivant à l’auteur, en lui demandant. Sans Elles, n’est-ce pas une parabole ? Sans Elles : une description, oui… profonde, oui… vraie, oui… sans solution, non… une parabole ? Mais l’auteur n’a-t-il pas déjà répondu ci-dessus ? Cela m’intrigue. Vous voyez, Sans Elles donne à penser. Lorsque j’ai vu pour la première fois le titre, j’ai pensé à "Sans ailes" : donc impossible de s’envoler de se libérer d’un amour tel qu’il est décrit dans le livre. Déjà le titre est comme symbolique, une invitation à la réflexion, à réveiller notre imaginaire. Car nous sommes conditionnés par les images que nous voyons tous les jours défiler devant nos yeux. L’amour en prend un coup.
Il existe un remède à cet amour qui a perdu son code, son "mode d’emploi", mais dans cette chronique, il n’est pas question de développer le sujet. Pourtant la lecture de Sans Elles doit nous pousser à nous poser ces questions en rapport à l’amour : Sommes-nous vraiment cela ? Nés pour vivre ça ? Et c’est tout ? Vous me direz : "Non nous mangeons, nous buvons", oui d’accord, mais ce roman vous renvoie à ces questions existentielles, au-delà de la philosophie, de la psychologie. Sans allonger cette chronique, reposons-nous la question, avant ou après lecture de ce livre aussi réaliste que prenant : qu’est-ce que l’amour ? |