Monologue dramatique écrit et mis en scène par Jean-Michel Rabeux et interprété par Claude Degliame.
Depuis "Eloge de la pornographie", il y a une trentaine d’années, Claude Degliame n’a cessé de collaborer avec Jean-Michel Rabeux. En recueillant le témoignage d’une prostituée de 70 ans, qu’il rebaptise Aglaé, et en adaptant ce texte pour le théâtre, Jean-Michel Rabeux a tout naturellement pensé à Claude Degliame pour tenir le rôle-titre. Installés sur des sièges de bar qui sont disséminés dans la salle ou sur des banquettes installées le long des murs, les spectateurs seront aux premières loges pour voir Aglaé-Claude déambuler au gré de sa fantaisie parmi eux. Parfois, elle prendra un verre de whisky dans un coin bar, montera sur une estrade disposée dans un autre coin. Habillée dans une tenue très légère, avec bas et combinaison noirs laissant voir sa peau et ses seins de femme âgée, elle est bien campée sur ses toujours belles jambes avec une voix rauque d’ancienne fumeuse. Jean-Michel Rabeux affirme qu’il n’a pas changé grand-chose à l’entretien qu’il a eu avec la "vraie" Aglaé. On est donc ébahi par la force de ses mots, leur netteté, sans oublier la vive intelligence de ses propos, avec des points de vue certes péremptoires et contestables, mais toujours étayés. Née à Asnières, Aglaé n’est pas la petite sœur d’Arletty de Courbevoie. Elle ne parle pas comme dans les films d’Audiard, ou plutôt elle pourrait par moments s’approcher d’un "Audiard simplifié", débarrassé de ses célèbres mots d’auteur. Défendant le droit de se prostituer librement, sans l’emprise des macs et des mafias et sans les tracas policiers et judiciaires, elle est convaincante. Elle parle de la prostitution comme un métier comme les autres, même si ce qu’elle raconte dessine une vie pas banale de marginale. Fréquentant la haute société, passant par la case prison, elle aura été aussi un temps modèle de Georges Braque. Claude Degliame, statique ou dynamique, dans la pénombre ou la lumière, proche ou lointaine, tient son auditoire en haleine. Elle peut énoncer une vérité et se rétracter dans la foulée. On est béat devant son jeu, devant sa manière de s’approprier cette vérité ou ces mensonges de cette femme dont elle pourrait n’être que le porte-parole mais qu’elle interprète vraiment, avec une petite distance qui marque sa qualité de grande actrice. Elle n’est pas Aglaé, elle est sa virtualité théâtrale. Elle ne cherche pas à séduire avec son personnage charismatique et séduisant, elle cherche à convaincre en tant que comédienne qui rend évidente le charisme et la séduction de son personnage. Dans la simplicité du dispositif inventé par Jean-Michel Rabeux, "Aglaé" fonctionne à merveille. Il faut souligner l’importance des lumières de Jean-Claude Fonkenel qui ont une fonction "sexuelle" qui ira jusqu’au "coïtus interruptus" final. Mais la pièce n’est pas seulement un bel exercice formel, c’est aussi l’analyse d’un tabou par quelqu’un qui sait ce qu’il y a derrière. "Aglaé" de Jean-Michel Rabeux est à mille lieues de "La P. respectueuse" sartrienne et c’est tant mieux. |