Comédie dramatique de Alexandra Badea, mise en scène de Matthieu Roy, avec Brice Carrois, Johanna Silberstein, Wei-Lien Wang et Shih-Chun Wang.
Que l'on soit rentré dans l'univers d' "Europe Connexion" ou qu'on l'ait rejeté, le texte d'Alexandra Badea a le mérite de poser des questions. Cette pièce radiophonique, créée d'abord sur France Culture, méritait-elle une mise en espace ? Fallait-il pour se faire, munir les spectateurs d'un casque pour entendre des "voix off" finalement radiophoniques ? Peut-on prendre comme thème le cynisme sans soi-même tomber dans le cynisme, à l'image de ces films parodiques sur la pornographie qui finissaient par n'être, à leur tour, que pornographique ?
S'inscrivant dans ce "théâtre politique" qui aborde sur scène des questions sur la mondialisation libérale, qui, d'ordinaire, font l'objet d'articles de fond dans "Le Monde Diplomatique", "Europe Connexion" assène finalement une "leçon" à ses spectateurs.
Ceux-ci sont distribués autour de la scène, une scène composée d'une partie "salle d'attente genre aéroport" et d'une partie "chambre d'hôtel international", les acteurs portant le discours déambulant de l'un à l'autre. Décrivant la vie d'un lobbyiste de Sciences Po à Sciences Po, comment il devient un homme-lige des grandes sociétés voulant imposer leurs normes au niveau des institutions européennes, avant de finir par former d'autres lui-même en rentrant au bercail de la rue Saint-Guillaume, "Europe Connexion" énonce froidement les recettes machiavéliques des maîtres du monde. On pourra très vite s'interroger si la manipulation dénoncée n'est déjà pas en jeu sur le spectateur. Car, si l'on en revient à ce casque d'audio, la première voix qui survient, la seule enregistrée, donne mécaniquement et métalliquement ses instructions. Elle entraîne le spectateur vers une quasi-soumission au discours qui suivra. Effet volontaire pour montrer le cynisme des hommes d'influence ou simple dispositif qui se voudrait neutre, on ne pourra franchement pas le déterminer. Mais on s'étonnera que ses voisins acceptent sans broncher de rester "encasqués" alors que l'on peut suivre sans le casque le discours des personnages. On pourra même prendre le casque pour une fausse piste, puisque les acteurs chinois présents dans "Europe Connexion" parlent en mandarin... sans jamais être traduits. Dès lors, on se demandera si Alexandra Badea, comme son metteur en scène Matthieu Roy, n'ont pas voulu justement poser des éléments, renforcés par la scénographie de Gaspard Pinta dont on a décrit l'efficace froideur, pour que leur spectateur comprennent qu'ils sont autant manipulés que les peuples par les lobbys. Peut-être pourra-t-on reprocher à Alexandra Badea de vouloir, in fine, sauver ses calculateurs grassement payés au service des plus forts, notamment des industries polluantes, en montrant qu'ils finissent par détester ce qu'ils font. On en doutera et on verra plutôt cela comme un doute sur un dispositif qui serait encore plus convaincant et passionnant s'il ajoutait une vraie cruauté sans considérations morales à ce monde inhumain des "influenceurs". |