Réalisé par Mariano Cohn et Gaston Duprat. Argentine. Comédie. 1h57 (Sortie le 8 mars 2017). Avec Oscar Martinez, Dady Brieva, Andrea Frigerio, Nora Navas, Manuel Vicente, Belén Chavanne, Marcelo D'Andrea et Gustavo Garzon.
Est-ce que c'est une bonne idée pour un prix Nobel de Littérature de revenir après trente ans d'absence dans la petite ville de son enfance, là même où il a situé ses romans et dans laquelle de nombreux citoyens peuvent légitimement se reconnaître dans ses personnages ?
La réponse est logiquement non. C'est pourtant ce que fait l'argentin Daniel Montovani qui, soudain sevré de ses origines, accepte de rentrer au pays pour devenir "citoyen d'honneur" de Salas, lui qui, jusqu'alors, n'avait jamais cédé aux sirènes de la gloire, trouvant cela vain et dérisoire.
Cette tragi-comédie menée à un bon rythme est d'autant plus transgressive que, contrairement à ce qu'on suppose, aucun argentin n'a reçu la récompense littéraire suprême.
Convoité - à juste titre - par José Luis Borges, elle n'a atterri dans l'escarcelle d'aucun des grands magiciens de la prose qu'a connu le pays de Maradona, ni dans celle de Julio Cortazar, pas plus que dans celle d' Ernesto Sabado, de Manuel Puig, de Silvina Ocampo ou du fidèle double de Borges, Adolfo Bioy Casarès.
On comprend dès lors toute l'importance symbolique que revêt le sujet du film pour un Argentin moyen, qu'il soit lettré ou chauvin.
"Citoyen d'honneur" de Mariano Cohn et Gaston Duprat ne fait pas dans légèreté, décrivant la population de Salas comme un ramassis d'idiots congénitaux ou de dégénérés de toute beauté.
Revendiquant son droit d'écrire sur le monde qui l'entoure, Daniel Montovani en a usé et abusé pour le grand plaisir de ses lecteurs mondiaux et l'immense déplaisir de ses lecteurs locaux qui ne vont pas rester les bras croisés quand ils vont enfin l'avoir sous la main...
Ce cahier d'un retour au pays natal va ainsi contenir une matière très riche pour un écrivain, une espèce de réactualisation des raisons pour lesquelles il a fui la médiocrité dangereuse de son village.
A la fois drôle et méchant, truculent et nostalgique, "Citoyen d'honneur" de Mariano Cohn et Gaston Duprat confronte un homme au destin hors du commun avec le commun destin qu'il aurait eu s'il n'avait justement pas été exceptionnel.
Oscar Martinez, grand acteur argentin, habite un rôle et le préserve de tout manichéisme. S'il retrouve ses anciens "amis", il revoit aussi son grand amour qu'il a plaqué pour s'enfuir d'un monde trop étriqué pour son talent. Ce qu'il advient de ses retrouvailles n'est pas forcément à sa gloire. Au passage, il apprendra à ses dépens qu'il faut se méfier des jeunes lectrices qui, même dans son village d'origine, connaissent tout de son œuvre...
L'Argentine périphérique décrite par les deux réalisateurs, où l'on chasse en 4 x 4 les rancoeurs passées comme certains gros gibiers inattendus, est étouffante et malsaine. On pourrait parfois se croire dans un film de Jean-Pierre Mocky ou de Marco Ferreri qui s'intitulerait "A mort le prix Nobel".
Heureusement pour Daniel Montovani, il croisera en la personne du réceptionniste de son hôtel un possible autre lui-même, preuve vivante qu'il aura eu raison, envers et contre tout, de prôner un humanisme propice à convaincre le jury suédois de lui accorder le Nobel.
Armé d'un scénario passionnant et original, "Citoyen d'honneur" de Mariano Cohn et Gaston Duprat réussit à distraire en construisant le portrait cohérent dans ses contradictions de ce qu'est aujourd'hui un grand écrivain.
Une vraie réussite.
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