"En tuant l’ours, son parent, son semblable, son premier dieu, l’homme a depuis longtemps tué sa propre mémoire et s’est plus ou moins symboliquement tué lui-même." Michel Pastoureau.
Voilà un album déconcertant, avec un vrai parti pris esthétique : rock tribal ? Folk expérimental ? Métal Gascon ? et instrumental (batterie, vielle à roue, tambourin, violon, guitares…) et on ne peut que se féliciter d’avoir à faire à ce genre de disque.
Artús vient du celtique "Arzh" signifiant Ours (Ors en occitan). Groupe culte officiant maintenant depuis 16 ans, c’est un des premiers, au moins en France, à "mélanger" les musiques "traditionnelles" avec les musiques actuelles. Ors est leur cinquième album.
Mais Artús est également un collectif lui permettant de maîtriser toute la chaîne de création avec le label Pagans qui s’occupe de l’enregistrement (ils ont leur propre studio), de l’édition (le groupe est sous licence libre Créative Commons), de la distribution, de la communication (graphisme…). De plus, le groupe fabrique certains de ses instruments (tambourin à cordes…) et collabore avec des luthiers pour créer des prototypes (vielle à roue…) adaptés à leur pratique expérimentale amplifiée.
Pour ce disque, dans une presque totale immersion, le groupe a fait pendant un an de nombreuses recherches et s’est appuyé sur des ouvrages aussi bien scientifiques que mythologiques sur cet animal que l’on a considéré en Europe jusqu’au 12ème siècle comme le "roi des animaux". Artús a rencontré plusieurs fois Jean Soust (naturaliste biologiste, ingénieur agronome, accompagnateur en montagne, scénographe, aquarelliste, conteur…), a fait plusieurs séjours en montagne, a médité, a "hiverné" pour se mettre dans la peau de l’animal et composer un album avisé, construit à partir d’une abondante documentation.
Sur le papier, cela pourrait faire sourire. Le résultat a de quoi déconcerter. Ors est un disque absolument foisonnant, un combat sauvage, un corps à corps sauvage, où la nature est forcément au centre des enjeux musicaux, où le groupe joue avec l’expression et l’expressivité des émotions et des ressentis. Entre tradition et modernité, Artús chante les mythes (Jean de l’ours dans "La hòla"), des chansons traditionnelles réarrangées ("Auròst", chant funèbre pour rendre hommage aux morts, "L’ors Dominique" récit de F. De Laborde), le cycle de la nature ("Desvelh", le réveil après l’hivernation, "Chasse party" jeu de piste entre un sanglier, chassé par un ours lui-même proie de l’homme).
Le jeu des timbres des instruments, pour la vielle à roue notamment, est assez surprenant et audacieux. C’est assez symptomatique dans le titre "Desvelh" avec une utilisation presque graphique de la musique. Mais au-delà de la musique, c’est peut-être cette audace le plus intéressant dans ce disque. L’audace du mélange des genres, ou plutôt de la création d’un nouveau genre car il serait bien trop simple de les classer dans la noise, de vouloir les rattacher à d’autres groupes ou de voir en eux des hurluberlus folkeux chantant en Occitan. C’est l’audace de croire en un projet, en une esthétique et de s’y plonger corps et âmes. Je vous laisse méditer la phrase de Michel Pastoureau, c’est aussi tout l’enjeu de ce Ors. Tout à fait surprenant.
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