Le Musée d'Art moderne de la Ville de Paris propose la monstration des oeuvres du peintre et sculpteur néerlandais Karel Appel constitutives d'une conséquente donation opérée par la Karel Appel Foundation d’Amsterdam pilotée par Harriet de Visser, sa dernière compagne, et propice à une présentation rétrospective.
Conçue sous le commissariat de Choghakate Kazarian, conservatrice du patrimoine attachée à ce musée, elle s'ordonne en un émérite parcours didactique.
Présentée dans une scénographie "white cube", elle permet un focus sur l'éphémère, mais majeur au regard de l'histoire de l'Art en tant que transition entre l'expressionnisme et l'art contemporain, groupe CoBrA et un décryptage en sept périodes chronologiques retraçant les six décennies d'activité créatrice de l'artiste décédé en 2006.
Karel Appel : le geste et la couleur pour appréhender le monde
Formé à l'Académie royale des beaux-arts d'Amsterdam, engagé très tôt dans l'avant-garde expérimentaliste, Karel Appel est un des fondateurs du groupe CoBrA, mouvement autoqualifié de surréaliste révolutionnaire qui, de 1948 à 1951, s'est déterminé comme promoteur d'une démarche artistique de figuration expressionniste et un art primitiviste calqué sur la pratique spontanée des enfants et des malades mentaux.
Oscillant à ses début entre art naïf et art brut avec des peintures sur le thème animalier ("Animaux au dessus du village", "Singing Donkeys") et des toiles-sculptures rauschenbergiennes ("Personnage vert", "Enfants quémandant"), il se dirige vers ce que la commissaire nomme la "véhémence expressive".
Celle-ci caractérise une création artistique basée la jouissance de l’acte pictural, en l'espèce le geste vitaliste qui se matérialise par une effervescence chromatique, avec des couleurs primaires saturées, et une profusion de matière recouvrant la toile, qui éclaire le titre de l'exposition - "L'Art est une fête !", - reprenant un propos de l'artiste.
En revanche, sa concrétisation témoigne d'une angoisse existentielle et d'un rapport morbide au monde. Et ce ressenti s'impose même si d'aucuns estiment que la peinture de Karel Appel n’attend pas le commentaire d’art mais "l’anamnèse de son geste, un geste de matière et de pensée, de couleur et de pensée, et non d'expression, ni du sujet ni du sensible, même s’il garde le figuratif*"
Certes, ouvrant l'exposition, les ânes bleus en papier mâché composant l'installation "Singing Donkeys" ouvrant l'exposition paraissent fort joyeux et les 17 sculptures en reliefs colorés du "Cirque", dont la facture rappelle celle de Jean Dubuffet son aîné de vingt années et
théoricien de l'art brut, ressortent au divertissement circassien.
Mais l'ensemble atteste d'un rapport pessimiste et tragique au monde
ressenti comme barbare
et d'une angoisse existentielle pérenne de "Effroi dans l’herbe" réalisé en 1947 à l'oeuvre ultime, une peinture tardive de petit format considérée comme une peinture-testament, réalisée en 2006 dont l'inscription "Feetsje ? (Fête ?").
Et il irrigue des oeuvres au titre explicite, "Nu blessé","Enfant en flammes avec un cerceau", "Les décapités", "Carnaval tragique", "Avant la catastrophe" et le terrible "Archaic Life" dont sont projetées les images de sa réalisation filmée en direct.
A ne pas rater la brochure de l'exposition d'art psychopathologique qui, en 1950, accompagnait le 1er Congrès international de psychiatrie, que Karel appel a illustré de dessins.
*Michel Enaudeau,Jean-François Lyotard. Karel Appel. "Un geste de couleur" |