Pour sa première édition, le Festival Les Émancipées de Vannes a mis d’emblée la barre très haut.
Né de la volonté de Ghislaine Goulby, directrice des Scènes du Golfe (Théâtres de Vannes et Arradon), et d’Arnaud Cathrine, conseil artistique du festival, de rassembler des artistes de multiples disciplines dans des projets fusionnels, ce festival s’est bâti symboliquement sur une "faute " grammaticale assumée.
Pas question de donner un sexe dominant à l’émancipation, alors pourquoi pas deux "é" à "émancipéés " ?
Pour cette première édition, les femmes sont mises à l’honneur et ont constitué des binômes de rêve. Tout a commencé, le vendredi 11 mars, par la légèreté de la danseuse Emmanuelle Huynh sur des mots de Marguerite Duras déposés sur la musique que lui avait composé Carlo d’Alessio pour son chef d’œuvre cinématographique, "India Song ".
Puis Delphine de Vigan entra en correspondance musicale et textuelle avec La Grande Sophie, avant que Virginie Despentes et Béatrice Dalle ne s’associent dans un exercice d’admiration mutuelle pour l’hérétique Pier Paolo Pasolini.
A l’aube du deuxième jour, "La sieste acoustique" animée par Bastien Lallemant donna un signal fort : les mots et les notes allaient jaillir de concert pour de nouvelles et fructueuses fusions.
Le "Journal d’une création" de Claire Diterzi en fournit aussitôt la preuve. La chanteuse iconoclaste, partisane de formes hybrides, a dévoilé un spectacle en gestation qui utilise à la fois des vidéos et des clips tirés de son dernier album, des textes tirés de ce journal qu’elle a tenu depuis un an et des extraits d’œuvres du dramaturge argentin Rodrigo Garcia.
Pour ce seul en scène où elle se risque à l’intimité autobiographique, elle a travaillé avec Mohamed El Khatib, dont a pu voir l’année dernière les spectacles "Moi, Corinne Dadat" et "Finir en beauté".
Si l’on ne connaissait pas encore Claire Diterzi, on sera séduit par son charisme foutraque, sa présence formidable en scène. Si on est déjà familier avec son univers, on constatera qu’il s’est étoffé et qu’elle a franchi un palier dans son jeu avec son "je ", ce qui devrait lui permettre d’acquérir un public plus large.
La journée se poursuivit par "La Bibliothèque idéale" de Camélia Jordana et Raphaële Lannadère, où les deux chanteuses, entre deux chansons, ont partagé leurs goûts littéraires, ceux de deux jeunes femmes qui ne veulent pas chanter pour passer uniquement le temps.
Le point d’orgue de la soirée fut évidemment le beau concert de Vincent Delerm,
intitulé "A présent", où le chanteur a su associer littérature, cinéma, théâtre et musique pour enthousiasmer autant ses fidèles que ceux qui le découvraient pour la première fois.
Avant de s’endormir, les festivaliers eurent encore l’occasion d’une autre belle découverte, celle du "Grand Bal Clandestine" un big bang animé par Mickael Pilhon, chanteur et trompettiste, et Matthieu Gauffre. Revisitant les tubes des années 1980, ces joyeux drilles sont à revoir quand ils auront totalement intégré l’héritage de leurs grands ancêtres, tel "Le grand orchestre du Splendid" ou "Au bonheur des dames".
Pour l’ultime journée des "Émancipéés ", on pouvait commencer dès midi trente par un "brunch littéraire " autour de "La Française pop" de Christophe Conte et de Charles Berbérian, anthologie de la pop française, contée par l’un dessinée par l’autre.
On pourra avoir bien des réticences devant cette histoire volontairement personnelle de la pop française. On ne contestera pas le charme des dessins de Charles Berbérian ni l’efficacité de l’écriture hautement journalistique du spécialiste de la musique française aux Inrocks.
A Gainsbourg ou Bashung, la romancière Véronique Ovaldé avait préféré les notes inspirées du violoncelle de Maëva Le Berre pour donner tout son relief à sa lecture d’extraits de son roman "Soyez imprudents les enfants".
Ce n’est pas lui faire injure que d’écrire qu’elle n’était pas forcément l’interprète idéale pour valoriser le beau personnage d’Atanasia Bartolome. Nonobstant cela, la rencontre de Véronique et de Maëva captiva un auditoire visiblement acquis.
Après la littérature contemporaine, c’est à un grand auteur grec, un poète, peut-être le plus important des années noires de la guerre et de la dictature, à qui Polydoros Vogiatzis, mis en en scène par Sophie Le Carpentier, rendit hommage.
Cette "Lettre à France" de Yannis Ritsos, dans sa lecture inspirée par un comédien généreux, renouait avec la tradition du lyrisme poétique. Même si cette forme peut paraître aujourd’hui un peu datée, on sentait un vrai frémissement poétique dans cette version sans concession. Grâce à Polydoros Vogiatzis et à Sophie Le Carpentier, on ne pourra plus ignorer que Yannis Ritsos est désormais un classique.
Restait aux "Émancipéés " à s’achever en beauté avec le second épisode de "Frère animal", le feuilleton pop d’Arnaud Cathrine et Florent Marchet. Question fusion entre musique et théâtre ce
"Frère Animal (Second tour)" était le parfait spectacle de clôture.
On dit souvent que la première édition d’un festival essuie les plats. Ce n’est pas le cas de celle des "Émancipéés " de Vannes qui a trouvé tout de suite sa vitesse de croisière.
S'il parvient lors d’une deuxième édition, que l’on espère déjà sur les rails, à élever encore le niveau de ses propositions, ce festival devrait très vite devenir une date qui compte. C’est tout le mal qu’on lui souhaite. |