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Interview  (Paris)  juin 2005

Rencontre avec Joël Egloff dans un bistrot de la place Saint-Sulpice, quelques jours après l’annonce du Prix Inter décerné à son quatrième roman.

Un homme modeste et attachant, comme ses personnages.

Vous venez de remporter le Prix Inter pour "L’Etourdissement", prix décerné par un jury d’auditeurs de France Inter. Vous y attendiez-vous ?

Joel Egloff : Non, on ne s’y attend pas. On ne s’y attend pas mais on en rêve.J’ai su que j'étais sur la liste en mars, au moment du Salon du livre.

C’était déjà une excellente surprise... Evidemment on y pense, et puis on se dit " Faut se calmer ". Les jours approchent et, malgré tout, la tension monte... On sait qu’il y a plein de bons bouquins sur la liste, des livres dont on parle beaucoup.

J’imagine qu’on doit stresser pendant les délibérations du jury...

Joel Egloff : En tout cas on a envie d’avoir une réponse, positive ou négative ; il y a une tension qui fait qu’on est content d’arriver au dénouement. Et même pour écrire c’est difficile... Je savais que j'allais recevoir un coup de fil ce dimanche soir, vers 21h00, un jour terrible (rires) !

Si c’était négatif, c’est mon attachée de presse qui m’appelait, et si c’était positif, plutôt la personne qui s’occupe du Prix chez France Inter.
Vers neuf heures moins le quart, le téléphone sonne et j’entends la personne qui s’occupe du Prix... Je me dis " Bon, ça veut rien dire ", elle avait une voix assez neutre...

Elle me dit :
- "Joël Egloff ?
- Oui, c’est moi.
- Vous êtes le livre Inter ".

Là, ça fait un drôle d’effet, vraiment. Se retrouver quinzième des ventes (je l’ai su aujourd’hui) ça fait bizarre... Même mon premier roman, qui s’est bien vendu, a fait dix milles exemplaires... C’est très étrange, on n’imagine pas que ce soit possible avant. "L’Etourdissement" ce n’est pas non plus un livre qui, comme ça, aurait pu toucher autant de monde...

Ah oui, pourquoi ?

Joel Egloff : Je ne sais pas, j’ai l’impression que c’est un thème qui peut être difficile et que ce n’est pas le livre qu’a priori on a envie d’emmener à la plage. S’il n’y avait pas eu cet éclairage-là...

Mais c’est s’arrêter aux apparences que de dire ça... Ce livre ne peut pas être résumé à cela ?

Joel Egloff : Mais malheureusement c’est souvent comme ca que se passe : - " De quoi ça parle ?
- Un abattoir...
- Ah bon. Oh mon dieu un abattoir !"

J’ai déjà vu cette réaction sur des salons lors de rencontres avec des lecteurs. Il faut prendre des pincettes pour le présenter. En même temps, si le lecteur entre dedans tant mieux, sinon tant pis, je ne suis pas pour forcer les choses...Mais il faut aller au-delà des apparences, ce n’est pas le lieu qui est si important, c’est tout l’univers, l’humour et la poésie du roman... Surtout que l’abattoir ce n’est pas le sujet du roman, c’est mineur.

Vous avez un don pour choisir des lieux absolument uniques : l’abattoir donc, la décharge, le bout de la piste avec les avions qui passent au ras de la route.... C’était un parti pris de décrire l’endroit le plus sordide qui soit.

Joel Egloff : Je n’ai pas situé "L’Etourdissement", c’est plutôt une espèce de "no man’s land". C’est un lieu de fin de vie, de finitude en général : la décharge c’est la fin de la consommation, la station d’épuration... Mais c’est assez drôle de voir comment les lecteurs se l’approprient, les uns le placent dans le nord de la France, d’autres ailleurs...

Un parti pris ?

Joel Egloff : Oui, il y avait de ça quand j’ai commencé à planter cet univers et vu la couleur que ça prenait avec les premières phrases. C’était un choix de placer ces personnages dans un univers très particulier, parfois trop, de forcer un peu le trait jusqu’à frôler la caricature... Je voulais trouver la limite de ce qui pouvait devenir grotesque et de ce qui était encore crédible malgré le côté fou.

Tout ça se construit instinctivement. J’ai l’impression qu’on ne peut pas écrire un roman en mettant en place des éléments de manière artificielle. Comme s’il fallait se dire "Cette symbolique-là comment je vais la représenter, comment je vais signifier ça ? "...

En fait c’est un peu l’inverse, c’est mieux d’aller à la découverte de ses personnages. C’est en bâtissant l’histoire que le sens naît, et tout ça se construit en même temps par différentes strates. Je ne voudrais pas qu’on pense que j’illustre une thèse que j’ai dans la tête auparavant.

Vous parlez d’écriture instinctive, vous êtes baigné dans une idée comme ça et vous partez...

Joel Egloff : Oui, c’est ça. Il y a un côté "expérience". Par exemple, ce roman débutait par une scène qui finalement s’est retrouvée à la fin : le cauchemar de ce personnage qui croit se reconnaître à la place du bœuf... J’avais dans la tête une confrontation entre des personnages qui travailleraient dans un abattoir. Des personnages usés, cette ambiance de fatigue extrême, et dans la chaîne des animaux ils se retrouvent face à un homme, et là il y a confusion, on ne sait plus à qui on a affaire. Là-dessus est venue se greffer cette ambiance du début, donc le lieu, et ce qui était au centre arrive très tard dans le roman.

La scène du brouillard, par exemple, est assez emblématique de mon écriture : ce personnage qui avance dans le brouillard c’est un peu moi qui avance dans mon bouquin. C’est le hasard mais c’est un exemple qui colle assez bien a la vérité : je vois quelque chose de flou, ça m’a l’air intéressant, je ne sais pas vraiment pourquoi et je tends vers cette direction que j’explore. Le roman c’est aussi un terrain d’expérience.

On trouve dans vos romans des décors de campagne, des gens simples, modestes et très humains. Est-ce que vous avez une attirance particulière pour le monde rural ?

Joel Egloff : Oui, j’ai une attirance pour les lieux perdus. Les lieux où il n’y a pas de référence, les "no man’s land", ou les endroits qui apparemment n’intéressent personne et qui malgré tout ont une énergie, une force qui leur est propre. Et je ne m’imagine pas prendre des personnages déjà bien dans leurs vies, ou installés socialement... Pour quoi faire ? Si tout va bien pour eux, tant mieux (rires)...

Il y a beaucoup de poésie dans votre roman malgré cet univers glauque, cet abattoir... N’est-ce pas la rencontre de ses personnages touchants et drôles et de cet univers très dur, qui rend cette poésie ?

Joel Egloff : C’est difficile à dire car cela touche à la question de l’écriture, du style, et c’est difficile d’avoir du vécu dessus. Ça me fait très plaisir s’il y en a car ce n’est pas le but recherché. À travers un regard, je cherche à transcender un lieu qui n’a rien d’intéressant a priori pour en faire quelque chose d’attachant.

La poésie ne naît-elle pas aussi du décalage entre ce glauque, et des situations complètement loufoques que vit notamment le narrateur...

Joel Egloff : En tout cas il y a toujours un décalage entre la façon dont il se comporte et ce que voudraient les circonstances. Au début, par exemple, dans la description, il est assez résigné, on sent qu’il a accepté la situation. Ces personnages vivent des événements et traversent des lieux terribles, et ils ne sont pas atteints... souvent ça ne les touche pas, ça ne les choque pas. Il y a aussi ce rire un peu nerveux parfois. Ils sont à côté de leurs pompes, un peu enfants, un peu comme des personnages à la Tati.

A ce propos, un journaliste du Point a titré un article "Affreux, sales et gentils" pour parler de vos personnages, en référence au film d’Ettore Scola...

Joel Egloff : La comédie italienne m’a beaucoup marqué, donc sans doute influencé... Je pense aussi aux "Monstres" de Dino Risi ...

Votre narrateur peut sembler naïf, mais en même temps il est très lucide. C’est ce qui lui permet de vivre dans ce monde ?

Joel Egloff : C’est peut-être plus douloureux pour lui d’avoir cette conscience et cette lucidité que pour certains autres. Une fois que l’on est étourdi on ne sent plus rien, les autres personnages sont déjà éteints et lui a un espoir supplémentaire. Parce qu’il a encore une petite flamme qui brûle et c’est peut-être ce qui lui permet de s’en sortir...

... de résister ?

Joel Egloff : C’est ça... même si, à la fin, ça repart à la case départ... Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas une ouverture possible.

Donc une ouverture est possible ?

Joel Egloff : Oui... (rires).La question de l’ailleurs n’est finalement pas le problème, la résolution du problème est peut-être davantage d’essayer de sauver ce qui est humain. Partir, c’est aussi fuir, et ailleurs, c’est sans doute pareil. C’est peut-être une fausse bonne idée de fuir géographiquement.

Ce qui le fait tenir, c’est cette petite flamme ?

Joel Egloff : Oui, c’est ça, c’est le peu qu’il reste. C’est comme sa relation avec Bortch, qui n’est pas qu’un collègue mais pas vraiment un ami non plus, c’est comme sil fallait réapprendre l’amitié aussi. C’est tout ce qu’il reste des relations, même les relations avec les femmes, ce sont des fantasmes assez basiques... Bon, il ne reste presque rien... (rires)

Votre écriture est souvent très musicale : "J’essaie encore de faire un dernier rêve en chemin. Je rêve que j’y vais pas, que j’ai plus besoin d’y aller. Je rêve que j’en reviens déjà, ou alors que j’arrive là-bas et que tout a brûlé, ça fume encore. On peut toujours rêver. "

Joel Egloff : Quand j’écris, je travaille à haute voix. La musique de la phrase m’importe beaucoup, j’ai besoin que ça sonne, même quand j’écris, je parle tout le temps.

Quand vous écrivez, justement, comment ça se passe ?

Joel Egloff : Je produis peu par jour. Si j’ai écrit une page dans la journée c’est une excellente journée. Je suis très lent et je peux revenir très souvent sur une phrase, la tourner dans tous les sens. Mais je ne vais pas écrire dix pages pour n’en garder que deux après. Comme j’avance très lentement, je ne supprime pratiquement rien. Finalement je fais le travail du second jet en même temps que le premier, parce que j’ai besoin d’avancer sur des choses qui sont à peu près définitives. Ça me gênerait de savoir que j’en suis à la page trente mais que finalement rien ne tient debout. Je ne pourrais pas travailler comme ça. Ça doit être mon côté obsessionnel. (rires).

Olivier le Naire a écrit dans l’Express, il y a quelques mois, au sujet de vous : "C’est l’un des jeunes auteurs français les plus injustement méconnus de sa génération ". Qu’en pensez-vous ?

Joel Egloff : C’était très sympa de sa part, mais mon premier livre avait quand même pas mal marché, il avait eu pas mal de presse, et je crois qu’il y a des auteurs plus injustement méconnus que moi, certains ont soufferts davantage... D’ailleurs je ne suis plus " injustement méconnu ", l’injustice a été réparée (rires) !

 

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