Tragédie écrite et mise en scène par Wajdi Mouawad, avec Jérôme Billy, Charlotte Farcet et Patrick Le Mauff.
Après voir consacré tout un cycle aux sept tragédies de Sophocle connues, Wajdi Mouawad souhaitait adapter la dernière d'entre elle, "Œdipe à Colone". La disparition de son traducteur, le poète Robert Davreu, décédé avant d'en avoir achevé la traduction entière, a contrarié son projet.
Il s'est donc contenté de traiter le premier épisode, "Les Larmes d'Œdipe" où le héros grec, interprété par Patrick Le Mauf, guidé par sa fille Andromaque (Charlotte Farcet) s'en revient à Athènes et se retrouve dans un théâtre antique rejoint par un choeur représenté par son Coryphée (Jérôme Billy). Celui-ci lui apprend qu'Athènes gronde : pendant une manifestation, Alexandros, un jeune garçon a été tué par la police.
Oratorio à trois personnages, pendant lequel retentissent les chants mélancoliques du Coryphée, composés et chantés par Jérôme Billy, "Les Larmes d'Œdipe" est un travail austère et minimaliste qui commence dan le noir, se poursuit dans une pénombre seulement perturbée par les savants jeux de lumière de Sébastien Pirmet.
Souvent saisis de profil, en ombres chinoises, les trois protagonistes semblent échapper d'un film de Michel Ocelot comme "Ivan Tsarevitch et la Princesse changeante" ou "Princes et princesses". Ils occupent une faible partie de la scène, restent statiques (Œdipe, lui est presque constamment allongé).
Wajdi Mouawad fait un constant parallèle entre la Grèce de Sophocle et la Grèce moderne. La sphynge qu'affronte Œdipe a aujourd'hui pour nom austérité.
La leçon est simple, et elle rappelle celle du "Moïse et Aaron" d'Arnold Schönberg, composé à la veille de l'accession d'Adolf Hitler à la chancellerie : le poétique et le politique se rejoignent dans le même néant quand les hommes cessent de croire au prophétique.
D'une grande beauté formelle confinant presque à la préciosité onirique, le travail de Wajdi Mouawad se regarde et s'entend comme dans un rêve. Il faudrait avoir le texte sur les genoux pour s'en pénétrer vraiment.
Demeure une impression fugace, celle d'avoir perçu un court instant, la parole de Sophocle venue de la nuit des temps pour révéler le secret de la condition humaine et particulièrement celle du temps révolu des héros. |