Le Musée Rodin inscrit une partie de sa programmation muséale dans le registre récurrent de la mise en résonance de l'oeuvre de Rodin avec celle d'artistes contemporains.
Celle-ci préside à deux expositons concomitantes mais de manière distincte : "Rodin - L'exposition du centenaire" qui se tient hors ses murs au Grand Palais qui procède à la confrontation d'oeuvres existantes et, in situ, "Kiefer - Rodin" qui résulte d'une carte blanche proposée au plasticien Anselm Kiefer pour créer des oeuvres sous influence rodinienne.
Ce projet de "regards croisés" soutenu par Véronique Mattiussi, responsable du fonds historique dudit musée, des manuscrits, des archives et de la bibliothèque, résulte essentiellement une monstration, dont elle assure le commissariat, d'oeuvres inédites du plasticien néo-expressionniste allemand.
Certes, si le musée présente "en écho", au sein de ses collections permanentes en l'Hôtel Biron, notamment des plâtres méconnus de Rodin, dont celui restauré, l'unique et monumental intitulé "Absolution" constitué par assemblage d'éléments plusieurs figures et récemment restauré, tel n'est pas le cas dans l'espace muséal dédié aux expositions temporaires.
Car le point de convergence Kiefer-Rodin tient au thème-sujet retenu par Anselm Kiefer, celui de la cathédrale au coeur du testament artistique de Rodin publié sous le titre "Les cathédrales de France", qui donne lieu au seul appariement graphique.
Ainsi ses croquis d'architecture rehaussés d'une aquarelle érotique ont inspiré à Kiefer un exercice de style concrétisé par une série d'aquarelles aux effets marbrés, dans lesquels la ligne claire de silhouettes féminines émergent des veines du marbre.
Cela étant, la trentaine de créations exposées, qui ne constituent pas des novations en terme tant thématique que stylistique, permettent de découvrir, à la manière d'un "artistic's digest", les fondamentaux de l'obsessionnel univers kieferien.
Kiefer, l'essentiel
Anselm Kiefer oeuvre dans le registre de l'art historique, ainsi que le révèle les peintures-sculptures et les installations sous vitrines qui constituent ses deux formes d'expression privilégiées.
Né en 1945 avec, de surcroît, un père officier de la Wehrmacht, il appartient à la génération d'artistes contemporains nés après la Seconde guerre mondiale obsédé par l'Holocauste qui a réalisé l'Apocalypse biblique annoncée, scellé la mort de Dieu et donc, plongé l'Homme dans une culpabilité sans rédemption possible.
Ce qu'annonce sa représentation de la psychostasie chrétienne avec une pesée des âmes dont la sentence s'avère sans ambiguïté.
Ce qui se traduit par des peintures monumentales caractéristiques du gigantisme kieferien et du travail sur la matière de celui qui toutefois réfute le qualificatif de peintre y substituant celui de "metteur en scène de matière".
Ces "tableaux-sculptures", en ce qu'ils sont quasiment en trois dimensions en raison de l'épaisseur de la matière et de l'hétérogénéité des matériaux apposés en couches superposées puis recouvertes de métal fondu, un métal particulier et symbolique, puisque le plomb provenant
du toit de la cathédrale de Cologne, déclinent des paysages dévastés, vestiges du passé et ruines mémorielles, au rang desquels, comme en l'espèce, d'impérieuses cathédrales néo-classiques résolument ravagées.
Kiefer s'inscrit également dans le registre mythologique décliné dans ses installations plasticiennes sous vitrines. D'une part, en corrélation avec le Volk allemand, la mythologie nordique avec "Les Walkyries", redoutables guerrières réduites à des enveloppes
fantômatiques de tissu et plâtre qui évoquent la matrice des moulages.
D'autre part, la mythologie biblique et juive.
Pour cette dernière, spécifiquement, l'installation "Emanation" constitue la transposition d'une toile éponyme du pentaptyque illustratif de la Genèse selon les concepts fondamentaux de la kabbale lourianique.
Les références bibliques sont explicites avec le "Dimanche des Rameaux" et sa palme glorieuse brisée, "La 7ème trompette" et le polysémique "Sumsum corda", paysage avec coupe géologique dans lequel un arbre flétri plonge ses racines dans un sous-sol-catacombe dont émane une structure hélicoïdale qui peut s'entendre comme la fameuse échelle de Jacob tout en ressemblant à la structure bicaténaire de l'ADN.
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