Réalisé par Frédéric Baillif et Kantarama Gahigiri. Suisse. Drame. 1h45 (Sortie le 10 mai 2017). Avec Frédéric Landenberg, Jaimerose Amidouz, Mélissa Haguma, Marlon Ali Lattion, Emmanuel Rivollet, Sébastien Lopez Buanga, Joël Gerber et Yusuf Ali.
Voilà un film qui fera des envieux dans les banlieues françaises. Car, à choisir, mieux vaut naître dans une famille d'immigrés en Suisse, à Lausanne, dans le quartier des Boveresses, que n'importe où autour de Paris, de Lyon ou de Marseille.
Née là-bas, la cinéaste Kantarama Gahigiri s'est associée à Frédéric Baillif pour tourner ce "road-movie" qui va conduire une bande de lascars hors du canton de Vaud pour se confronter aux pingouins cannois, ceux qui transhument sur la côte d'Azur tous les ans pendant quinze jours au mois de mai.
Prétexte à cette sortie pas orthodoxe : distribuer le scénario qu'ils ont écrit en compagnie de leurs éducateurs, avec à leur tête, le seul acteur professionnel du groupe, Frédéric Landenberg.
"Tapis rouge" de Kantarama Gahigiri et Frédéric Baillif suit ainsi les jeunes gens de l'écriture de leur "film" à leur séjour à Cannes pour essayer de le vendre à ces "gros producteurs" qui hantent la Croisette.
Ce qui n'aurait pu être qu'un beau rêve, grâce à l'énergie du personnage de Frédéric Landenberg, et à la compréhension des autorités suisses qui laisse l'expérience se développer, va devenir le sujet du film qui prend la forme d'une balade haute en couleurs et pleine d'espoir.
On aura ainsi le droit à quelques épisodes pas piqués des hannetons, comme une visite inénarrable au Palais du facteur Cheval, qui outre sa drôlerie s'avérera un très beau moment de cinéma.
En effet, la paire aux manettes réussit le tour de force de faire croire qu'il s'agit d'un documentaire, alors qu'elle a su diriger des comédiens amateurs devant justement faire oublier qu'ils jouent des rôles écrits qui s'inspirent sans doute d'eux-mêmes mais qu'ils ne sont pas en train d'improviser.
Frédéric Baillif et Kantarama Gahigiri ne les ont pas réduits à quelques traits ou à quelques clichés habituellement servis pour définir les jeunes banlieusards dans n'importe quel grande ville occidentale. Sept, comme les samouraïs ou les mercenaires, les garçons forment un groupe attachant. Ils sont décrits comme des potentiels et non dans le constat de leur condition problématique.
Certes, Frédéric Landenberg et son assistante doivent s'imposer et canaliser une troupe qui va, peu à peu, se plier à des règles de vie en commun. Les crises seront nombreuses pour qu'une collectivité émerge et découvre que ce qui la rassemble est plus fort que l'individualisme viscéral qui semblait la diviser.
Cela passe par moments par la mise en pointillé du ton de la comédie et le rappel que le suicide et la désespérance guettent ces truculents gamins déjà adultes et expliquent souvent leur virulence. C'est aussi pour les éloigner de ce tropisme fatal qu'est né le projet que porte Frédéric Landenberg, excellent de bout en bout. Eux aussi sont excellents et jouent juste, sans jamais exagérer leurs compositions.
On se doute que même tourné en francs suisses, "Tapis Rouge" de Frédéric Baillif et Kantarama Gahigiri n'est pas un blockbuster. Ses concepteurs ont décidé d'aller le présenter de villes en villes, de banlieues en banlieues dans ce qu'ils appellent la "Tournée équitable". Ils ont bien raison. La qualité de leur film est pour le message qu'ils cherchent à délivrer une garantie de succès.
S'ils suscitent des vocations, ne reste qu'à espérer que les institutions comme le CNC auront, pour une fois, une attitude "bienveillante", empreinte de générosité et de curiosité pour ce que des jeunes de banlieue pourraient leur proposer. |