Monologue dramatique écrit par Yannis Ritsos interprété par Marianne Pousseur dans une mise en scène de Enrico Bagnoli.
Avec "Ajax", "La trilogie des éléments" de Yannis Ritsos, conçue par Marianne Pousseur et Enrico Bagnoli, se termine en apothéose et quitte la pénombre pour la lumière, même s'il 'agit de la lumière qui précède la mort du héros. Sans doute moins ésotérique qu' "Ismène", moins crépusculaire que "Phèdre", ce troisième volet est plus classique que les deux précédents. Qu'il s'agisse ici d'un "héros" plutôt qu'une "héroïne" a son importance, même si Ajax est un héros humanisé par la défaite, dont les accents guerriers n'oblitèrent pas sa part féminine. Et puis, Yannis Ritsos produit un texte dans la lignée de Homère, un texte de sa maturité poétique où les images se font limpides, où le lyrisme s'incarne dans la chair du héros qui va reposer parmi les dépouilles de ses hommes transformés en bêtes suite à la ruse d'Ulysse. La mise en scène d'Enrico Bagnoli s'est encore épurée sans perdre en puissance d'évocation. Reste un miroir dans lequel se reflète le héros, un amas de peaux de bêtes que le vent (l'air) gonfle comme pour les faire renaître, et un grand bouclier dans lequel Ajax fera rouler une bille. Tout est donc d'une saisissante beauté. A commencer par Marianne Pousseur qui après avoir été quasiment nue dans "Ismène", revêtue d'une fourrure dans "Phèdre", porte maintenant une combinaison vert-marron évoquant ces militaires grecs modernes qui ont hanté le vingtième des siècles de l'ère post gréco-romaine. Sa performance est une fois de plus à saluer. Elle porte d'autant plus le souffle du poète jusqu'à l'évidence du mot juste qu'elle a traduit elle-même "Ajax". Elle est aussi à l'origine de la musique et cette implication totale permet au projet de parvenir harmonieusement à son terme. Cette "Trilogie des éléments" aura plongé le spectateur qui aura fait l'effort de la voir intégralement dans un autre monde que le sien. Il sera nourri d'images inoubliables, aura perçu grâce à Marianne Pousseur la vitalité de la parole grecque ancienne réinterprétée par un grec moderne. On sera désormais convaincu que Yannis Ritsos, aède contemporain, est le digne successeur d'Homère. Qu'elle chante ou qu'elle psalmodie, Marianne Pousseur réveille la grécité qui est la matrice de tous les hommes d'Occident. "La Trilogie des éléments, entreprise hors du commun, loin de tout néo-classicisme kitsch et de toute post-modernité maniérée, va creuser son sillon, celui des œuvres mémorables. |