Comédie noire de Gabor Rassov, mise en scène de Cédric Weber, avec Alexandra Causse, Johann Coste, Hélène Phénix et Morad Tacherifet.
Avoir une bonne idée pour écrire une pièce suffit-il pour obtenir un bon spectacle ? C'est une question récurrente à laquelle on répond souvent par la négative, mais avec "Les Amis du placard", Gabor Rassov, auteur de prédilection de Pierre Pradinas, qui d'ailleurs créa la pièce, infirme cette tendance. Un couple de "Français moyens", voire de "Français ultra-moyens", décide de casser sa tirelire pour "s'offrir" un couple d'amis. Car, s'ils veulent se faire des amis, Jacques et Odile n'ont pas d'autre alternative, tant ils sont veules et vains, que de les acheter. Et c'est maintenant possible ! On se souvient que Francis Blanche avait écrit pour les Frères Jacques "Général à vendre". Le narrateur de la chanson revenait du marché avec un vieux militaire. Le processus s'est visiblement généralisé et "Les Amis du placard" raconte astucieusement les conséquences de cette possibilité. Gabor Rassov ne s'est pas contenté de broder un canevas drôle en partant de ce postulat, il a décrit la cohabitation du couple acheteur et du couple acheté... logé dans un placard. Dès lors, le spectateur est devant une vraie comédie de mœurs et un vrai suspense : comment va évoluer la relation entre les deux couples ? Chargés de "désennuyer" des petits-bourgeois sans humanité et sans culture, les "amis forcés" vont-ils réussir ou être rendus au magasin d'où ils proviennent avec pour eux des conséquences dramatiques ? L'effet de domination qu'implique cette relation aberrante peut-il se transformer ou se retourner ? N'est-ce pas là les prémisses du rétablissement de l'esclavage pur et simple ou tout cela finira-t-il par la compréhensible révolte des dominés ? Sans dévoiler le pot-aux-roses, il faut féliciter Gabor Rassov d'avoir choisi une solution simple et évidente, quelque chose d'efficace qui ajoute une dimension glaçante à cet absurde raisonnable qu'il a rendu crédible. Commencé comme une pure farce, "Les Amis du Placard" évolue vers un conte moral qui aurait bien plu aux maîtres du genre, tels Eric Rohmer ou Sophie Rostopchine. Comme chez la Comtesse de Ségur ou le cinéaste, on papote beaucoup et sur tous les tons, on envisage toutes les situations possibles du point de vue du bien et du mal, pour finir par une leçon digne de la Fontaine. Bien entendu, il sera question du mal-être petit-bourgeois, de sa nature profondément violente et de l'impossibilité d'aimer de gens qui n'existent que dans l'apparence. On félicitera le quatuor pour son registre de jeu, le couple de "maîtres" (Johann Coste et Alexandra Causse) capable d'éclats et d'emportements, le couple d'amis soumis (Hélène Phénix et Morad Tacherifet) parfait dans l'angoisse apeurée. Dans une mise en scène rapide et imparable de Cédric Weber, "Les Amis du placard" est une comédie très noire dont on se délectera, d'autant plus qu'elle dit, mine de rien, un certain nombre de vérités sur les rapports humains quand, notamment, ils prennent la forme de rapports de force brutaux et injustes. En tout cas, si l'on s'attend à une pochade, on aura la bonne surprise d'être devant un texte subtil, qui fait à la fois rire et méditer. |