Correspondances adapatées par Anne Rotenberg et Gérard Stehr avec Gérard Desarthe et Jacques Weber.
Pendant trois jours, du 9 au 11 juin 2017, La Pépinière Théâtre" propose avec "Intimité publique" ce qu'Anne Rotenberg appelle des "biopics épistolaires". A partir de correspondances, de lettres, de carnets, de journaux intimes, des "couples" d'écrivains, voire de scientifiques dans le cas de Marie et d'Irène Curie, vont converser. Les textes joués ou lues seront en général des adaptations libres, les lettres étant débarrassées des inévitables "scories" qu'il y a dans toute correspondance.
Dès lors, on a le sentiment d'une espèce de ping-pong intellectuel produisant des échanges très brillants. La conversation entre Gustave Flaubert et Ivan Tourgueniev en est la meilleure preuve. Enfoncé dans son confortable canapé noir, Jacques Weber savoure sa nouvelle incarnation de Gustave Flaubert. A quelques mètres de lui, sur un tabouret à roulettes, Gérard Desarthe est un Tourgueniev moins impérial, mais tout aussi heureux de côtoyer son grand ami français, qui finira par l'appeler affectueusement "chéri". L'intérêt du texte adapté par Anne Rotenberg et Gérard Stehr est de laisser la parole à deux écrivains majeurs du 19ème siècle, de les entendre juger leurs pairs, et par exemple avoir plus que des réticences sur l'évolution de leur camarade Emile Zola. Mieux, Flaubert ne cesse de parler de l'avancement de "Bouvard et Pécuchet", ne cesse de se plaindre de cette œuvre colossale qui est en train de le tuer à petit feu. Ceux qui ont déjà vu Jacques Weber dans "Gustave" noteront combien il est de plus en plus heureux d'être ce géant, cet ogre, de la littérature française. Gustave Flaubert disait "Madame Bovary, c'est moi", Jacques Weber peut le paraphraser en affirmant que "Monsieur Flaubert, c'est moi". Il se délecte vraiment de tous les mots lancés par l'auteur de "L'éducation sentimentale". Face à lui, Gérard Desarthe profite de ce mimétisme entre l'acteur et l'auteur pour lui aussi s'imprégner de l'écrivain russe vivant à Bougival. Cerise sur le gâteau, cette correspondance produit de vrais beaux moments d'émotion, comme celui où Flaubert raconte l'enterrement de George Sand ou celui où Tourgueniev fait connaître Tolstoï à Gustave. L'avis de Flaubert sur "Guerre et Paix" est d'une splendide intelligence. Pas question d'ego pour Gustave et Ivan quand ils découvrent un écrivain peut-être plus "grand" qu'eux. En amoureux d'absolu littéraire, on les sent heureux d'avoir partagé la découverte d'un nouveau maître du genre. Littérairement, le texte des échanges choisis entre Tourgueniev et Flaubert est d'une très grande qualité. Les deux acteurs en profitent, visiblement heureux d'être ensemble pour lire quelque chose d'un tel niveau. Ils font partager leur bonheur à un public qui n'en attendait peut-être pas autant et qui devrait, séance tenante, se plonger dans la correspondance des deux compères. |