Punks not dead
Dans le cadre de l’exposition PUNK ! 40 ans de NO FUTURE (du 16 septembre au 18 novembre 2017), le 106 Rouen en partenariat avec Radio France, France Inter et la Sacem recevait ce mercredi 20 septembre Eric Tandy, parolier des Olivensteins et la photographe américaine Sue Rynski. Surnommée "l’artiste rockeuse" par Iggy Pop, Sue nous replonge au travers de ses photos dans l’Amérique survoltée de la scène punk-rock de Détroit et Michigan à la fin des 70’s, tandis qu’Eric nous remémore les années punk, l’ambiance, le son à travers ses souvenirs et les 45 tours qui ont marqué ses années. Froggy’s a rencontré cet acteur vivant des années crêtes-épingles à nourrice...
Eric, si tu devais définir le punk ?
Eric Tandy : Je dirais que c’est l’arrivée en 77 d’une forme de rock qui nous appartenait, c’était le nôtre. Nous qui avions l’âge des Sex Pistols, des Clash. Le rock à papa n’était plus trop à la mode à cette époque, et donc quand le punk est arrivé, pour la première fois, j’aimais le rock, un rock mal foutu, mal branlé dans lequel il n’y avait pas de distance, mais tellement instinctif, c’était le premier qui était celui de notre génération, qui était vraiment à nous. C’est ce qui a fait qu’on a tous adhéré à ça.
Souvent on associe l’image du punk à Londres, d’où tout serait parti, alors qu’en réalité, c’est au retour d’un voyage à NY, où il aurait découvert là-bas des musiciens comme Richard Hell ou Sylvain Sylvain des New York Dolls, que Malcolm mac Laren aurait ramené le punk en Europe.
Eric Tandy : C’est tout à fait ça, sauf qu’à NY, le mouvement était confidentiel avec quelques groupes géniaux et tous différents les uns des autres. Mc Laren a eu cette intelligence de transposer ça à une réalité anglaise qui était comme nous en demande d’un nouveau rock. Même si les Pistols sont très vite apparus à Londres, le punk est arrivé de toute l’Angleterre comme à Manchester avec les Buzzcocks par exemple. Rapidement, on a vu émerger un rock plus facile à jouer, instinctif, avec des paroles accrocheuses qui parlaient de la réalité des ados, qui parlaient de révolte, pas une révolte politique au premier degré, mais une révolte contre l’ennui, un des thèmes majeurs du punk. Hormis les Stooges, avec "1969", ce n’était pas un thème très récurrent, c’est aussi pour cette raison qu’il y a eu aussi cette proximité.
Pourtant, les Clash étaient très politisés.
Eric Tandy : Ils ne s’étaient pas politisés seuls, c’est leur manager, Bernie Rhodes, un ancien trotskien et situationniste de la bande à Mc Laren, qui les a poussés à écrire des chansons politiques, même si Joe Strummer était à la base un grand fan de protest songs, de Woodie Guthrie… Rhodes les a incités à décrire ce qui se passait dans l’Angleterre de l’époque qui était un gros bordel en faillite.
Et l’élément déclencheur qui t’a poussé à te dire "faut que j’en sois" ?
Eric Tandy : Je ne l’avais pas envisagé, c’est arrivé comme ça, avec un frangin (Gilles) qui s’est mis à chanter alors qu’il ignorait qu’il savait le faire et moi qui n’avais pas imaginé que je pouvais écrire des paroles. C’était un moment assez exceptionnel, avec ce souffle venu d’Angleterre qui te portait, et que l’on s’est approprié. Cette ambiance et cet esprit nous poussaient à faire des choses, certains ont fait des fanzines, d’autres organisaient des concerts, des labels, sans réellement rien de réfléchi, avec une vraie fraîcheur et une vraie spontanéité.
Un album ou un artiste ont déclenché ça chez toi ?
Eric Tandy : A la première écoute de "Anarchy in the UK", j’avais aussi vu Damned sur scène. C’était un enchaînement de choses, de groupes, de morceaux.
Vu de ma génération, j’ai l’impression que c’était le mouvement principal, alors qu’en réalité le punk était un micro mouvement.
Eric Tandy : C’était effectivement un petit mouvement sauf qu’il était partout, composé de peu de gens mais disséminés partout.
Comment se situait le punk français par rapport au punk anglais ?
Eric Tandy : La plupart du temps, les punks français me faisaient rire. Le punk populaire est arrivé dans les années 80, j’avais quitté tout ça, nous, on l’avait vécu de l’intérieur entre 76 et 80. J’avais besoin de trucs beaucoup plus urgents, j’étais passé à autre chose, j’écoutais du rock garage.
A l’époque, la presse anglaise s’intéressait à la scène punk française. Les Stinky Toys avaient fait la couv du Melody.
Eric Tandy : Les anglais étaient un peu moqueurs vis-à-vis du punk français. Les Stinky Toys s’étaient fait un peu descendre dans l’article. Les seuls qui étaient un peu pris au sérieux c’était Métal Urbain, qui avaient enregistré deux 45 tours sur des labels anglais. Ils avaient une reconnaissance, Jello Biaffra avait sorti leur premier 45 tours, du coup ça leur amenait une certaine cote internationale, mais de là à dire qu’ils étaient énormes, faut ramener les choses à leur proportion.
Et à Rouen ?
Eric Tandy : A Rouen, c’était assez massif. Les labels poussaient leurs groupes pour qu’ils viennent jouer dans la ville. Les groupes anglo-saxons ramenaient toujours du monde, ça fonctionnait bien. Ils passaient au studio 44 qui est devenu ensuite l’Exo 7. Le premier concert des Clash avait failli être annulé à cause de l’électricité qui n’était pas assez forte et qui sautait pendant les balances. Ce sont les pompiers qui sont venus nous arranger ça. Leur premier album venait de sortir, il y avait plus de 200 personnes dans la salle alors que dans n’importe quelle ville, il y aurait eu 20 ou 30 personnes, ils n’étaient pas encore connus.
Tu étais vendeur dans la légendaire boutique Mélodie Massacre.
Eric Tandy : J’avais lâché le lycée pour vendre des disques… Je préférais glander dans la ville, plutôt que d’aller en cours, je détestais tellement le lycée…
Les Olivensteins n’ont pas sorti d’album. La légende dit que ça ne s’est pas fait à cause d’un litige avec le docteur Olivenstein.
Eric Tandy : Un album était prêt. Barclay était intéressé, ils avaient signé les Pistols, les Heartbreakers, c’était la maison de disque la plus en pointe. Ils étaient d’accord pour signer les Olivensteins mais ils avaient peur des poursuites avec le fameux docteur Olivenstein, le médecin spécialisé dans les psychotropes, le Mr drogue en France. Il passait à la télé pour parler de la drogue et dès qu’il y avait une émission sur la jeunesse qui n’allait pas bien, tu le voyais donner son expertise. On avait choisi ce nom-là pour cette raison mais lui n’était pas d’accord du tout. Cela a été un des vrais problèmes, à l’époque c’était impossible de produire un album en autoproduction, les studios coûtaient cher, donc il fallait signer avec une vraie maison de disque.
Les textes des Olivensteins étaient provocs, avec le recul en regrettes-tu certains comme "Patrick Henry est innocent", "Petain, darlan c’était l’bon temps" ?
Eric Tandy : "Pétain, darlan", je regrette la façon dont il a été interprété… Je jouais la provoc au deuxième degré et certains, qui croyaient que c’était un hymne pétainiste, l’ont pris au premier… C’était pour me moquer des abrutis qui s’habillaient en nazi…
Et si tes petits enfants te chantaient euthanasie papi ?
Eric Tandy : Cela me ferait bien rigoler…
"Je n’ai même pas le courage d’aller pointer au chômage, fier de ne rien faire", penses-tu que ça peut avoir une résonnance en 2017 chez la jeunesse qui est en grande souffrance ?
Eric Tandy : Oui, parce qu’il y a du premier degré et de l’humour…
On dit que le punk s’est arrêté en 77, rattrapé par tout ce qu’il combattait, et que le post punk a pris le relais mais juste avec le volet intellectuel et contestataire.
Eric Tandy : Non… Le punk, c’est fait de suites de réactions, le post punk fait partie de cette suite de réactions…
Et le punk en 2017 ?
Eric Tandy : Je le trouve hyper présent, il y a de plus en plus de petits labels, de gens qui se débrouillent dans leur coin, DIY… C’est ce côté-là qui m’intéresse, qui me plaît, avec des gens qui parfois font n’importe quoi sur des albums mais avec une liberté totale et c’est génial.
Aujourd’hui, quand tu fais un truc artistique ou un peu barré, tu sais que tu ne vendras aucun disque et que les medias ne t’écouteront même pas… Les Olivensteins étaient black listés. Je trouve qu’on est en plein dans la base du punk qui est faire ses trucs dans son coin en s’en foutant totalement, à faire un truc par nous, pour nous.
Ce qui se passe actuellement m’excite beaucoup, aller voir des petits groupes dans une cave pour 10€, les voir se débrouiller seul, je trouve qu’on est en plein dans l’essence du punk. Non seulement les groupes sont bons, ont des idées, et il y a ce truc de se dire "on s’en branle de réussir, de toute façon ça sert à rien d’essayer de réussir puisqu’on y arrivera pas !"…
Je suis toujours excité par tout ce qui se passe… Il y a un groupe de Bristol, Idles, c’est un des derniers que j’ai vu, on voit aussi beaucoup de groupes de filles, comme Massicot dans la veine des Raincoats… J’y retrouve un côté naturel qui colle à son époque comme il y a 40 ans…
|