Barje Endurance
(Musique Sauvage / PIAS) octobre 2017
Elle prit pour nom le paradoxe de l’âne, qui mourut de soif et de faim, faute de choisir par quoi commencer. Dilemme pas facile à assumer, dans la bêtise et l’indécision soulignés par le problème. Et pourtant, Buridane a su s’approprier la bizarrerie et la faire sienne, les genoux niqués et l’âme gonflée d’espoirs.
Après une première aventure au refrain faussement enjoué Badaboum, Buridane remet le couvert avec Barje Endurance. Epaulée du réalisateur de génie Cédric de la Chapelle, elle signe tout l’album de ses pattes pleines de doigts.
Du flow, du fluide et de la poésie, barje comme savent l’être les femmes fleurs, Buridane tronçonne les circonvolutions de l’âme entrainée dans les précipices. Et c’est à la fois espiègle et torturée qu’elle chante les états féminins, des spirales descendantes de la jalousie au joyeux bigoudi des mensonges par omission, entre grincements de dents et simulations.
S’il n’y avait que ça, l’album serait trop commun, trop primate, trop vulgaire. Parce que Buridane ne vante pas les chutes comme le feraient des artistes larmoyants qu’on fuit à toutes pattes. Elle butine les contreforts de la tristesse d’optimisme incessant, puisant la force dans une apparente fragilité.
Tout en douceur, l’album est rythmé aux grelots de dentelle et aux frôlements de cordes subrepticement murmurées au creux des reins. Des tournures électroniques frisent avec l’élégance d’un coiffé-décoiffé travaillé mèche après mèche, et un phrasé tantôt saccadé, cotoyant un slam nonchalant, tantôt fredonné de sa voix femme-enfant, mutine et solaire.
Brudiane est entre les deux et de chaque côté, des hauts et des bas ponctuent Barje Endurance de moments avec et de moments sans "Je suis faite de crevasses et d’éclaircies tellement puissantes" ("Le Phénix et la Cendre"). Buridane est faite d’erreur et de réussites "tu t’es trompée d’histoire / Tu t’es trompée de corps / et tu erres encore / comme se balade un mauvais sort / Et c’est toi qui répares / toi qui fais les raccords / toi qui rêves encore" ("Mauvais sort").
Touchante et pudique, Buridane met ses mots sur nos deuils "Je sais qu’il n’y a pas de justice, pas de raison, pas de mérite, pas de dernière volonté, pas de dernière soirée qui préviendrait qu’on se quitte" ("Bleu"). Et toujours, le regard tourné vers l’horizon, à savoir comment se relever : "J’ai creusé la distance, délaissé les scandales" ("A l’aube").
Un album coulé dans un béton aérien, ou comment faire de ses doutes une expérience, Buridane est une poupée unique armée d’un déneurolaser pourfendeur d’idées noires. Barje Endurance.
Décidémment ce mois de janvier est bien triste pour la culture. Marianne Faithfull a tiré sa révérence et c'est encore un peu de tristesse qui s'ajoute à celle plus globale d'un monde tordu. Il reste la culture pour se changer les lidées. Retrouvez-nous aussi sur nos réseaux sociaux !