Traverse consacrée au cinéaste Frédérick Wiseman avec la collaboration artistique de Nathalie Boutefeu.
C'est toujours beau de voir un homme parler de son travail, un artisan porteur de plus de cinquante ans de savoir et n'a pas perdu une once de sa passion. Sur la scène vide du Théâtre national de l'Odéon, dans le cadre du cycle "Les Inattendus" de ses "TRAVERSES", Frederick Wiseman ne pourrait être qu'un petit personnage face à une salle comble. Au contraire, c'est un géant que découvraient ceux qui ne connaissaient rien de son œuvre, tout comme ceux qui le pratiquent depuis "Titicut Follies", son premier film en 1967. Ce ne sera pas faire tort à Raymond Depardon, Agnès Varda ou Werner Herzog, ni à la mémoire de Jean Rouch, voire à celle de Robert Flaherty, que d'affirmer que Frederick Wiseman est sans doute le plus grand documentariste que le 7ème art ait connu. Ce petit bonhomme à l'accent américain prononcé cherche ses mots en français, mais finit toujours par trouver le bon. Pareil pour ses images. Durant les deux heures où il va commenter quelques séquences de son œuvre monumental projeter sur un écran au centre du plateau, il dira que pour une heure de film, il a souvent 150 heures de rush. Ce monteur hors pair est avant tout un ajusteur de séquences. Il laisse ses personnages aller jusqu'au bout de leurs discours, ne manipule jamais leurs paroles. Wiseman, cet ennemi de la voix off et du cinéma coup de poing, n'a pas besoin de commentaires. Tout ce qu'il montre et monte est signifiant, riche en humanité. Wiseman n'a besoin que de la parole de ceux qu'il saisit pour faire passer ce qu'il découvre. Car jamais il n'anticipe, il ne prévoit ce qui se dira ou se passera. Sa démarche est pleine de bienveillance et de respect pour les autres qu'il n'emprisonne pas sur un écran mais éclaire de tout son génie. Dans le cadre de son cycle "Les Inattendus" des "TRAVERSES", l'Odéon a eu une belle idée de lui demander de commenter des extraits dans ses films qu'il a choisis lui-même. Plus qu'une "Master Class", c'est une "Masterpeace Class" à la quelle on a assisté ce 9 octobre 2017. Poursuivi parfois par la caméra taquine et complice de Nathalie Boutefeu qui en profite pour l' "interviewer", Frederick Wiseman laissera à chacun des spectateurs l'écho de sa puissance de travail et un petit quelque chose de son œil malicieux d'inlassable observateur du siècle qu'il vient de traverser. Deux heures qui font du bien et qui rendent impatient de pouvoir voir son dernier film, "Ex Libris", 197 minutes consacrées à "The New York Public Library" et qui fera l'objet d'un compte-rendu sur Froggy's Delight, comme il y a peu les magnifiques "Boxing Gym" ou "In Jackson Heights". |