Comédie dramatique écrite et mise en scène par Jean Bechetoille, avec William Lebghil, Nadine Marcovici, Laurent Lévy, Alice Allwright, Guarani Feitosa et Romain Francisco.
C'est sur le terrain de la fantaisie et de l'absurde que Jean Bechetoille a décidé de faire ses premiers pas de metteur en scène.
Bien lui en a pris puisque le projet dont il est aussi l'auteur, "Comment Igor a disparu" a été choisi pour participer en 2017 au Concours des jeunes metteurs en scène du Théâtre 13 et que le jury de ce concours l'a distingué en en faisant son "Lauréat 2017".
Au centre de la scène, trône une table tout autour de laquelle se distribuent des ouvertures qui matérialisent elliptiquement des portes. Plusieurs personnes s'agitent car c'est un jour particulier : Igor, le fils de la maison revient après une longue absence... Mais, raconter comme cela, on pourrait croire qu'il s'agit d'une entame de pièce fort banale... Alors que tout commence par une scène d'amour... sur la table entre la mère (Nadine Marcovici) et le père (Laurent Lévy), interrompue par l'arrivée d'un ami d'Igor, Luc (Guarani Feitosa). Le ton particulier et "anormal" du spectacle est alors donné quand la mère dit à Luc que si elle avait su que c'était lui, ils auraient poursuivi leur activité sexuelle... Au fond, "Comment Igor a disparu" est plus l'histoire d'une réapparition ratée que d'une disparition pure et simple. Igor (William Lebghil) décrit la grande solitude dans laquelle il a vécu et il est assailli par le bavardage récurrent, l'accumulation de mots routiniers qui est censé signifier qu'autour de cette table centrale et de ses repas tous pareils le bonheur règne. Pourtant, si l'on observe bien la scène, il y a quand même énormément de détails liminaires qui annoncent le "déjantage" progressif de cette famille heureuse reconstituée et même agrandie puisque Nicole (Alice Allwright), une "belle jeune femme", étudiante en danois occupe désormais la chambre d'Igor... D'abord, il y a une accumulation terriblement bizarre d'os tout autour du plateau. Et puis, surtout, il y a la présence d'un "choeur" (Romain Francisco) qui ne semble guère troublé les uns et les autres, puisqu'il peut danser sur la sacré sainte table sans que cela n'étonne personne.
Frétillant et léger comme un papillon, aérien comme un lutin, il contribue au principe d'irréalité qui caractérise "Comme Igor a disparu". Tout ici devient peu à peu possible, la nudité comme la pluie d'os et les poursuites autour de la table avec un rouleau de papier d'aluminium déroulé...
Jean Bechetoille a certainement vu "Le charme discret de la bourgeoisie" de Luis Bunuel et les premiers films de François Ozon. Il a dû pratiquer Ionesco et Obaldia. Toutes ces influences nourrissent son texte et son travail scénique. Son théâtre, nourri davantage d'action que de réflexion, part du postulat qu'un garçon éloigné de son milieu ne peut plus y reprendre sa place "comme avant". Ainsi, alors que les quatre autres perclus dans leur quotidien rejouent continuellement la même scène, Igor les contemple en fumant silencieusement, pète un câble, le rouleau Albal en main... Son nouveau départ est dès lors inévitable. Le vrai titre devrait être "Comment Igor s'est estompé". William Lebghil sait subtilement décrire tous les états et les étapes de son retour. Observateur malheureux, incapable de se réintégrer, il tente pourtant avec Nicole un jeu amoureux qui l'épuise et le rend malade. On pourrait aussi faire l'hypothèse qu'il a découvert ou assumé son homosexualité pendant son voyage et qu'il sait qu'il ne retrouvera jamais sa place dans la mécanique routinière de cette "maison du bonheur". Une place, qui, logiquement, sera prise par Luc, voire par le choeur. Abandonné et détaché de tous, Igor n'aura même pas envie de voir les abeilles que son père élève et dont le miel promis se fait désiré... Partir, s'évanouir, être définitivement mort aux autres et à leur sexualité, voilà son destin irrémédiable. "Comment Igor a disparu" a le grand mérite de la concision et de la brièveté. Jean Bechetoille donne à tous ses acteurs de belles choses à défendre, et l'on appréciera particulièrement Nadine Marcovici, la mère, rêvant d'un foyer idéal où les différentes générations copuleraient dans le bonheur apicole, alors qu'Alice Allwright, pleine de fraîcheur perverse, irradie de naturel dans le rôle de l'étudiante débordante d'appétit. Bulle de savon qui ne se prend pas vraiment pour une énième critique de la cellule familiale petite-bourgeoise, "Comment Igor a disparu" a l'audace raisonnable et fera souvent sourire. |