Salle Jeanne d'Arc
(Saint-Etienne) vendredi 24 novembre 2017
Aujourd’hui, vois-tu, je dois confesser mon ignorance et mon a priori. Quand mon disquaire, Harold, m’a proposé une place pour le spectacle de Barrio Populo, j’ai accepté avec plaisir. Ce groupe local a une très bonne réputation et je l’avais vu une fois, il y a longtemps à une fête de la musique.
C’est en lisant le texte accompagnant le flyer que j’ai commencé à m’interroger. Je partage certains passages avec toi : "Barrio Populo chante la poésie française" ou encore "Barrio Populo propose une nouvelle création inspirée de ses influences musicales et poétiques" et de citer "Jacques Prévert, Arthur Rimbaud, Antonin Artaud ou encore Paul Fort…"
Là je vais être franc, j’étais un peu plus septique. C’est vrai, tu me connais, moi c’est le rock’n’roll qui gueule, qui tape des pieds, les pogo. Bref, c’est assez loin, en théorie de la poésie. Et puis je me suis rappelé ces soirées passées à la fac (oui, je sais, c’est dingue, j’ai fait des études) avec les copines (surtout) qui était en littérature. Tu sais, ces filles habillées un peu bohème, qui vivent dans de petits appartements ornés de tapis, de bougies et de livres usés, cornés et annotés qui traînent un peu partout (et je t’assure que j’exagère à peine).
Quand je suis arrivé à la salle Jeanne d’Arc, le public n’avait rien à voir avec celui des concerts que j’ai pu faire dernièrement et dont, en lecteur assidu de ma splendide prose (oui, j’en fais un peu beaucoup), tu n’as pas omis d’en lire mes impressions. De tous les âges, de toutes les catégories sociales.
Ce soir était un peu particulier puisque c’est la sortie officielle de l’album issu de ce spectacle. Tout le monde semble se connaitre, se salue, se sourit, s’embrasse. On sent de l’effervescence et une certaine joie d’être là. Rien à voir avec des gens sérieux qui viennent à un spectacle sérieux.
Je me retrouve dans une salle de cinéma, rien à voir avec une salle de concert, une salle qui date un peu, j’y avais mis les pieds la dernière fois le siècle dernier, il y a 20 ans pour être précis, je te laisse imaginer mon âge canonique ! J’y avais vu et interviewé Les Nonnes Troppo, ne cherche pas tu ne connais sûrement pas, jeune paltoquet !
Bref, sur scène, tout est en place et à 20h30 et quelques minutes les musiciens arrivent. Le spectacle s’ouvre avec la Comédie en trois baisers d’Arthur Rimbaud et je vais être franc, je suis tombé de haut. Rien à voir avec un spectacle de récitation ou de lecture de poèmes en musique. Aussi beaux puissent-ils être, c’est chiant.
Là non, Barrio Populo a réussi à mettre en musique des poèmes, à en faire de belles pépites musicales. On y rit avec par exemple La recherche de la Fécalité d’Antonin Artaud (avec une mention spéciale au tromboniste) où on te parle de… caca ! Mais aussi les deux chansons les plus rapides faites sur scène depuis que je vais à des spectacles, imagine un peu 30 secondes. Deux pépites de Prévert. Traitées sur du rock, puissant, rapide. Cela te transperce et tu ris, à gorge déployée.
Mais tu peux aussi presque y pleurer notamment avec Déjeuner du Matin (de Prévert également) et une magnifique ouverture à la guitare acoustique. Nous avons même droit à un inédit, composé il y a quelques jours, sobrement intitulé un poème de Queneau. Vincent nous fait vivre cela avec un livre à la main. C’est juste beau. Tu retrouves cette dimension poétique.
J’ai pu réécouter du Ferré, du Pierre Perret, parce que oui, Pierre Perret ce n’est pas que "Le Zizi", c’est aussi et avant tout un poète et un excellent compositeur, "Mon P’tit Loup" quand tu l’écoutes est superbe.
Sur scène, on retrouve également un quatuor à cordes, qui arrive ponctuellement pour un morceau, repart, revient. C’est vivant.
J’y ai à nouveau entendu Le Dormeur du Val et crois-moi que si on me l’avait enseigné comme cela, j’y aurais consacré plus de temps et plus d’énergie. J’aurais eu de la curiosité pour la poésie.
Parce que, finalement, à travers ce spectacle, Barrio Populo, qui nous expose ses influences, nous donne envie de lire de la poésie, de redécouvrir ce qui souvent n’était à l’école qu’un exercice de perroquet où tu débitais ce que tu avais appris, dans la souffrance parfois (je me suis cassé le poignet une fois en apprenant une poésie, si si je t’assure !).
Et sans prétention aucune. C’est cela qui fait la réussite de ce spectacle : l’humilité. A aucun moment tu n’es en face de musiciens qui viennent t’expliquer la poésie, non ils font bien plus : ils partagent !
Le final, sur Le Mal de vivre de Barbara est émouvant au possible.
Attention, Barrio Populo reste un groupe de rock, sincère qui, s’il te fait découvrir la poésie, n’en reste pas moins énergique et ça bouge sur scène, ça virevolte, ça bondit, les musiciens sont souriants, heureux d’être là, ensemble. C’est un spectacle vivant, Vincent, le chanteur, insiste sur ce point, qui permet de faire une belle parenthèse, dans cette vie trépidante et parfois mangée par les réseaux qui se veulent sociaux. Là, dans cette salle, c’était bien plus interactif qu’une page internet.
Alors que je conclus cette chronique, l’album Cris d’écrits tourne sur ma platine. Tu sais, la musique fait voyager, rêver, pleurer, rire et c’est exactement ce que me procure cet album.
Alors merci au groupe pour cette soirée et à Harold, sans qui je ne serais pas venu ! Tu sais ce qu’il te reste à faire…
Décidémment ce mois de janvier est bien triste pour la culture. Marianne Faithfull a tiré sa révérence et c'est encore un peu de tristesse qui s'ajoute à celle plus globale d'un monde tordu. Il reste la culture pour se changer les lidées. Retrouvez-nous aussi sur nos réseaux sociaux !