Comédie dramatique de Patrice Trigano, mise en scène de Agnès Bourgeois, avec Jean Luc Debattice et Agnès Bourgeois accompagnés par les musiciens Fred Costa et Frédéric Minière.
Depuis sa mort en 1948, le fantôme d'Antonin Artaud n'a jamais cessé d'arpenter les scènes parisiennes. Ange du bizarre et génie de la cruauté, il est un des seuls mythes modernes à se rattacher au théâtre. Le plus souvent, sa parole démiurgique est exagérée, outrée, propice à tous les cabotinages. Artaud est le fou préféré puisque sa folie s'exprime, théâtralement, au-delà de la déraison. Ce n'est pas ainsi que Patrice Trigano, qui le fréquente depuis cinquante ans, le voit et le conçoit. Sa passion pour Artaud n'est pas celle d'une midinette qui s'esbaudit devant la passion christique d'un homme de lettres brisé par la psychiatrie et les électrochocs du "bon" docteur Ferdière de Rodez. Ce qu'aime Patrice Trigano en Artaud c'est la parole poétique, sa haute expression au-delà de la souffrance terrible qu'il s'est infligé lui-même ou qu'il a subi d'une société qui suicide le génie. "Artaud-Passion" épouse la forme d'une rencontre entre Florence, fille du galeriste Pierre Loeb, ami de l'artiste multiforme qu'était Artaud, et celui-ci revenant de neuf ans d'enfer psychiatrique. Ici, plus qu'incarné par Jean-Luc Debattice, qui a l'intelligence de la mesure là où souvent les acteurs ne jouent que démesure et dérèglement des sens, Antonin Artaud est un homme qui se reconstruit comme il peut, toujours porteur de son génie, même s'il est en lambeaux et dans sa phase terminale. Il est face à Florence Loeb (Agnès Bourgeois) qui le raconte, qui épouse ses mots jusqu'au mimétisme et qui finit par être son ultime messagère. Nimbé dans l'univers sonore de Fred Costa et Frédéric Minière, présents sur scène, qui cherche à restituer par les bruits et les sons l'univers d'Artaud, ce spectacle convaincra à la fois les ignorants et les aficionados. Patrice Trigano est un passeur comme tous les passionnés. Grâce à lui, et à la compréhension parfaite du "théâtre de la cruauté" dont fait preuve la mise en scène d'Agnès Bourgeois, Artaud voudra dire vraiment quelque chose à chaque spectateur sans qu'il ait été besoin d'user d'un excessif didactisme.
De la scénographie de Didier Payen, aux costumes de Laurence Forbin aux lumières de Laurent Bolognini, tout se combine pour que se dessine, au-delà de sa confusion mentale, un Artaud solaire rêvant d'une harmonie impossible mais la cherchant comme les autres grands voleurs de feux, Rimbaud et Van Gogh, ses pairs revendiqués.
Une heure stimulante de vrai théâtre. |