Initialement roman de science-fiction riche en descriptifs et en idées de génie, Retour sur Belzagor sort de l’imagination avertie de Robert Silverberg, et plus précisément de son roman Les profondeurs de la terre. Philippe Thirault et Laura Zuccheri décidèrent de sortir le roman du placard et de le BDtiser en deux tomes. Le résultat est coloré et intelligent.
Au temps de la colonisation (et des supers technologies permettant de voyager de planète en planète d’un jet de fusée of course), Belzagor est squattée par une bande de racistes convaincus de leur supériorité. La palme de l’arrogance revient au commandant Kurtz, défoncé au venin de naggiar, réputé pour ses propriétés bienfaisantes. Gundersen est alors un jeune lieutenant. Comme dirait Voltaire au vu d’un estropié par chez nous "c’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe".
La métaphore à peine cachée de l’impérialisme du début du XXème siècle percute le lecteur de plein fouet dès les premiers instants. Et puis nous voilà directement propulsés dix-huit ans plus tard, dans une navette entre deux atmosphères, pour un voyage retour sur Belzagor. Deux scientifiques, élevés à la splendeur de la nature et aux immersions en combi stérilisée et prélèvements à la pince à épiler, accompagnent l’ex-lieutenant Gundersen sur les pas de ses premières armes.
La décolonisation l’a jeté de Belzagor où il se sentait chez lui, et la planète "rendue" à ses habitants, deux espèces intelligentes et pacifiques : les Noldoror et les Sulidor. Entre mammouth imberbe et gentils hippopotames cornus pour les uns, et bipèdes orange à la carrure d’un Chewbacca absolument chauve et pourvu de deux rangées de dents qui vous feront passer l’envie de plaisanter sur les rongeurs, pour les autres.
Belzagor est désormais balisée, les territoires sacrés ne sont pas accessibles aux humains que constituent la mission scientifique dont Gundersen est le guide. Ce dernier cache évidemment quelques éléments sur son passé, ce que ne manque pas de lui rappeler les quelques habitants de Belzagor. A commencer par Kurtz le drogué au naggiar marié à Seena, son ex amante, qui s’habille une ou deux tailles en dessous de ses mensurations, avis aux amateurs de nichons en string.
Pour la mission scientifique conduite par Sam le grincheux et Dorothy sa femme-qui-ne-va-pas-tarder-à-aller-voir-ailleurs-s’il-continue-à-se-comporter-comme-un-goujat, il s’agit d’assister à la mystérieuse cérémonie de la renaissance en territoire sacré des Nildoror. Gundersen est là pour négocier une entrée dans ce territoire, réveillant de douloureux souvenirs.
Au-delà de l’imbroglio amoureux et des piques acerbes tirées de la rancune des non-dits dans le passé, Retour sur Belzagor est un album qui pousse à s’interroger sur la place réelle accordée à l’intelligence, ne serait-elle pas finalement un savant dosage de sagesse et de bienveillance ? Alors que le monde contemporain place ses valeurs dans les technologies, toujours plus rapides, toujours plus chronophages et superficielles, ne serait-il pas plus riche de s’harmoniser avec la nature et de ressentir enfin ? C’est vrai que le sujet est en train de se muer en "croquez des graines" et "faites pousser des branchies à votre colon", mais l’intention est là. Le récit de Silverberg devient du coup franchement actuel.
Les personnages sont dessinés avec beaucoup de réalisme (et sans défaut, évidemment), les décors sont grandement exotiques, on se baisserait presque pour ramasser des papayes à la foufourche s’il y en avait. La précision des traits rend les émotions faciles à lire sur les visages et dans les postures des personnages. De même, les décors sont bluffants de couleurs et de précision, au point de sentir les odeurs de jungle et de brume aux moments suspendus.
Subtile et dénonciatrice des gouvernements égocentriques à la mèche blonde from here to here (et les autres), l’intrigue de Retour sur Belzagor est sublimée par des dessins minutieux et précis. Les couleurs franches sans dégoulinades de fluos montrent une belle maîtrise de la palette savamment dosée pour mener le regard sur chaque tableau de l’essentiel au particulier, sans superflu.
Enchantant les sens et questionnant les âmes. Un sacré bon moment d’immersion dans ce que l’homme a de plus paradoxal : son humanité.
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