Attention chef d’œuvre !
Si l’on voulait pousser un peu loin le bouchon, nous pourrions dire que Krystian Zimerman est l’archétype même du musicien génial, de l’immense virtuose perdu dans sa bulle. Pianiste aux personnalités multiples, Zimerman est tout à la fois appliqué et totalement imprédictible, dans le plus pur respect du texte et dans une exploitation totale de l’imaginaire, absolument libre et méticuleux jusqu’à l’obsession. Il monte ses propres claviers sur des piano normaux, les marteaux frappant les cordes à des endroits différents par rapport aux pianos modernes donnant ici un son différent, une vélocité différente. Cela peut vous paraître dingue ou être totalement fantaisiste, c’est juste absolument génial.
Perfectionniste, le pianiste refuse de sortir un disque s’il ne touche à la perfection, il est donc rare, c’est son premier disque en solo depuis près de deux décennies. Et ce disque est presque irréel pour tendre tellement vers cette perfection. Et pour plusieurs raisons : comme dit précédemment par l’instrument. Zimerman a assemblé un clavier de sa propre confection, assez proche de ceux qu’aurait pu connaître Schubert, sur un mécanisme traditionnel, ce qui donne un son incomparable, d’une clarté, d’une générosité, d’une précision ahurissante offrant la possibilité au musicien d’ouvrir encore plus son éventail de couleurs et de paramètres sonores.
La qualité de l’enregistrement ensuite, réalisé en studio, au Japon à Kashiwasaki, dans une salle reconstruite après le terrible tremblement de terre de 2007. La restitution acoustique de la prise de son (Rainer Maillard est derrière les commandes) est parfaite jusque dans les moindres détails donnant une lumière, une rondeur, une douceur au son.
Et puis il y a naturellement le jeu de Zimerman. Ce jeu, ce phrasé qui donne à chaque note, chaque ligne mélodique son évidence. On tangue, on chavire, on trépigne à l’écoute de ces sonates qui sont d’une incroyable intensité émotionnelle. L’interprétation est tout bonnement exceptionnelle et dépasse des versions que nous chérissions pourtant (Brendel, Leif Ove Andsnes, Pollini ou Kovacevich). Zimmerman nous fait presque découvrir de nouvelles partitions ouvrant les champs mélodiques, harmoniques et rythmiques.
Schubert fut un grand précurseur, qui ne sera compris que bien après sa mort (Liszt permit de le redécouvrir), et l’un des plus grands mélodistes de l'histoire de la musique. Preuve en est dans ces deux sonates où il se risque dans une modernité harmonique et polyphonique comme dans l’andantino de la sonate D959 que Brahms qualifia de "berceuse de la douleur" à la mélodie magnifiquement mélancolique où se déchaine une véritable tempête. Zimmerman nous fait sentir avec une rare sophistication tout le poids des émotions de cette sombre sonate. Plus lumineuse, comme une marche vers l’au-delà, la D960 montre un monde intérieur inquiet, complexe aux dynamiques subtilement calculées et aux silences habités. Le pianiste en joue avec délectation ! Le cœur, l’âme vibre plus fort avec cette musique. Merci à Krystian Zimerman de nous rendre la vie plus belle... |