Régis Le Sommier est directeur-adjoint de Paris match. Grand reporter, il a été le chef du bureau du magazine aux Etats-Unis à New-York, a partagé le quotidien d’unités de l’US Army au cours de séjours en Irak et en Afghanistan. Auteur de Daech, l’histoire et Les mercenaires du calife, il fait partie des très rares journalistes à avoir rencontré à plusieurs reprises Bachar El Assad, le président syrien.
Tout le monde, depuis 2011, connaît Bachar El Assad, de nom au moins, ou croit le connaître. Pourtant, cet homme reste une énigme, de par son histoire déjà, celle d’un élève moyen, plutôt sympathique, fou d’informatique qui se retrouve placé au premier plan après la mort brutale de son frère aîné. Symbole de modernité, marié à une femme vêtue à l’occidentale, ancienne banquière, il représente alors tous les espoirs aux yeux de l’occident lorsqu’à 34 ans, il devient président de la Syrie. Dix-sept ans plus tard, 340.000 morts pendant le conflit syrien. Certains le surnomment "le boucher de Damas" quand d’autres considèrent qu’il a servi de rempart à l’islam radical.
Régis le Sommier l’a rencontré plusieurs fois en Syrie pour l’interviewer pour Paris Match mais aussi lors de rendez-vous "off", parfois lors de moments particulièrement critiques pour lui et son pays. De ces rencontres, de ses moments passés sur le territoire syrien, Régis Le Sommier en a tiré un ouvrage passionnant qui nous permet d’appréhender la complexité du conflit syrien mais aussi la complexité de son dirigeant, grâce à un travail de terrain, bien loin des informations divulguées par nos chaînes d’informations.
De nombreuses thèses sont mises à mal dans le livre. Il y a d’abord celle disant qu’Assad aurait mis au point un plan machiavélique, celui de libérer des islamistes, débouchant sur l’émergence de l’Etat islamique. Pour Régis Le Sommier, cette thèse reste très hypothétique. Certes, 260 islamistes environ ont été libérés mais aucun d’entre eux ne tiendra un rôle prééminent dans l’insurrection ni ne rejoindra Daech. Abou Moussab Al-Zarqaoui et Abou Bakr Al-Baghdadi, respectivement père fondateur et calife de l’Etat islamique ne sont pas sortis des geôles syriennes mais jordaniennes pour le premier et américaines pour le second.
En aucun cas, l’auteur souhaite défendre ou réhabiliter Assad, il veut juste rétablir la vérité. Le livre nous permet aussi d’apprendre plus précisément ce que représente les alaouites, minorité ethno-religieuse à laquelle appartient la famille du président, qui pratique une religion particulière. Et d’expliquer comment cette communauté et leurs valeurs ont joués un rôle important dans le maintien au pouvoir d’Assad.
Régis Le Sommier nous montre enfin un personnage très détaché vis-à-vis de ce qu’on peut lui reprocher, l’assassinat de Rafic Hariri, le bombardement de sa population, le gazage de syriens… Tout semble glisser sur lui, il s’est construit, nous dit l’auteur, un blindage émotionnel qui fait qu’il s’est montré plus meurtrier que son père car beaucoup plus détaché. A côté de cela, et c’est plutôt surprenant Régis Le Sommier nous montre un Assad plutôt geek, qui observe le monde autour d’un énorme ordinateur, maîtrisant un certain nombre d’outils informatiques. Il vit cloitré à Damas depuis 2011, n’étant sorti qu’une fois de façon non officielle pour aller voir Poutine.
A la fin du livre, Régis Le Sommier fait un parallèle intéressant entre le conflit syrien et la guerre d’Espagne. Ces guerres se ressemblent par leurs nombres de morts et de réfugiés, par l’implication de puissances étrangères rivales, par le fait que le vainqueur n’a pas été celui sur lequel l’occident avait misé. La Syrie ressemble aussi à l’Espagne par la manipulation de l’information qui a eu cours chez tous les acteurs.
Il nous montre enfin que cette guerre aura été une tromperie sanglante en montrant que chacun est intervenu non pas en pensant au bien du peuple syrien mais en recherchant ses intérêts.
Assad est donc un livre essentiel pour comprendre ce conflit syrien. Pour comprendre aussi qu’il est un mot que ne connaît pas le dictateur syrien, la compassion. |