Monologue dramatique d'après l'oeuvre éponyme d'Albert Cohen interprété par Patrick Timsit dans une mise en scène de Dominique Pitoiset.
"Dans les yeux de ma mère, Il y a toujours une lumière..." chante Arno le Belge comme en écho à Albert Cohen le natif de Corfou installé à Marseille avec ses parents avant de faire carrière au "Bureau International du Travail" en Suisse.
Car la maman d'Albert est la femme de sa vie, lui l'homme à femmes qui écrira l'hymne à Bella, la "Belle du Seigneur", un roman fleuve que d'aucuns considèrent comme son chef d'oeuvre, alors que d'autres penchent plutôt du côté maternel, avec ce court mais si dense récit qu'est justement "Le Livre de ma mère".
En écoutant Patrick Timsit, lire et incarner Albert le fils de celle qui n'a pas de prénom, on restera sur cette certitude que "Le Livre de ma mère", ce cri primal d'amour jamais maniéré, toujours doux et aimant, profond et sincère, vaut largement les centaines de pages consacrées à sa Belle.
Grâce à Patrick Timsit, et à son interprétation éclairante, grâce à Dominique Pitoiset qui lui fait faire corps avec le livre, l'évidence surgit : "Le Livre de ma mère" est le chef d'oeuvre de Cohen.
Il ruisselle d'humanité et Patrick Timsit qui doit dans le même temps convaincre un public encore persuadé qu'il vient voir "Salut, c'est Timsit !" qu'il va entendre couler des mots d'amour jamais dits à une mère, et être ce fils déifiant sa mère morte.
Ce qui apparaît dans la lecture inspirée de l'acteur, c'est toute la noirceur qu'Albert Cohen a apprise et intériorisée en devenant un "intellectuel", tout ce qu'il a perdu de liens avec sa mère en écrivant. Il n'y a gagné que de l'inquiétude et l'abominable certitude que le "Dieu" de sa mère n'existe pas. Le voilà obligé de célébrer quelqu'un qu'il tue une deuxième fois en imaginant que son destin c'est la tombe et non le paradis qu'elle mérite...
Derrière son ordinateur, installé sur une table-pupitre encombrée d'objets divers, avec au-dessus de lui un écran vidéo, Patrick-Albert est comme dans le capharnaüm de sa pensée contradictoire.
Dur d'aimer sa mère si simple dans son amour quand on acquis les mots qui rendent l'amour filial conflictuel et devant passer au tamis social. Albert fréquente la haute société et sa mère à accent prononcé fait parfois tache, détonne et brise les convenances policées : "Le Livre de ma mère" annonce déjà Annie Ernaux...
Pitoiset et Timsit ont eu raison d'aller jusqu'à l'anachronisme des musiques de Nat King Cole et d'Arno, de montrer des vidéos du jeune Timsit à la plage avec ses parents. Timsit fait bien de lire plutôt que de chercher les mots d'Albert.
Quoi qu'il fasse, quoi qu'il dise à ses "frères humains" qui l'écoutent, il pousse un cri d'amour devant la mort. Juste un crime d'amour parce que c'est injuste que les mères meurent, que le mot "maman" disparaisse de la bouche des enfants qui ont grandi.
Et c'est précisément dans sa manière de faire de "maman" le plus beau mot du monde, que Patrick Timsit a réussi son devoir d'humanité et son pari d'acteur. |