Hanya Yanagihara
(Editions Buchet-Chastel) janvier 2018
En terminant Une vie comme les autres, en ayant passé plusieurs soirées en compagnie de l’écriture d’Hanya Yanagihara, deux sentiments principaux se sont dégagés une fois le livre refermé. D’abord, un sentiment de mélancolie d’avoir terminé ce livre qui, malgré ses 800 pages, donnait l’envie qu’il se poursuive. Ensuite, un sentiment de plénitude, d’ivresse, celui de se rendre compte que je venais de terminer un immense livre, pour l’instant, celui qui m’a le plus marqué pour ce début d’année 2018.
Je ne connaissais pas cette auteure, Hanya Yanagihara, une journaliste et écrivain vivant à New-York, plusieurs fois finalistes de célèbres prix comme le Man Booker Prize ou le National Book Award. Son dernier livre, Une vie comme les autres, déjà vendu à plus d’un million d’exemplaires dans le monde, traduit dans 23 pays est présenté comme un livre phénomène mais surtout comme un livre phénoménal. Et c’est rien de le dire. Une vie comme les autres est un monument de littérature.
Une vie comme les autres, c’est l’histoire de quatre amis que l’on va suivre sur quatre décennies. Malcom, JB, William et Jude se sont rencontrés à l’université en partageant une chambre sur le campus. Devenus amis, on les retrouve à New-York au début du livre. Tous ambitieux, ils ont l’intention de conquérir la grosse pomme.
Malcom, métis, garçon rangé de bonne famille, est devenu un jeune architecte. JB, d’origine haïtienne, devenu peintre a un goût prononcé pour la défonce. Willem, d’origine scandinave, doté d’une beauté froide et fatale, tente de faire décoller sa carrière d’acteur pour pouvoir abandonner son métier de serveur. Jude, dont on ne sait pas grand-chose au début du livre, se lance dans une carrière d’avocat.
Hanya Yanagihara aurait pu nous embarquer dans un roman sympathique nous décrivant les péripéties rencontrées par ces quatre copains. Cela aurait pu en faire un bon livre mais pas un grand livre. Il n’en est rien. Une vie pas comme les autres se distingue par une histoire hors du commun, celle de Jude, qui croise celle des trois autres personnages. Une histoire où les femmes sont très peu présentes, ce qui est plutôt rare dans la littérature.
Jude est donc le personnage le plus secret des quatre amis. Il semble avoir un passé douloureux. Très rapidement, la trame narrative du roman va se concentrer sur lui, sur son côté énigmatique. Petit à petit, son histoire va se dévoiler. Hanya Yanagihara va nous délivrer les renseignements au compte-gouttes, avec intelligence et parcimonie. On se demande au départ qui est véritablement ce personnage. Jude a un passé douloureux qu’il s’applique à taire, qui le hante et le ronge de l’intérieur. On découvre ce passé au fur et à mesure que se développe dans le livre son amitié indéfectible avec Willem. A la moitié du livre, on comprend pourquoi il souffre, pourquoi il se mutile, pourquoi il reste énigmatique sur son passé. On perçoit alors sa détresse et sa fragilité, son handicap aussi (il souffre le martyr et marche difficilement à cause d’un accident), fruit des tourments monstrueux de son enfance. Son histoire est l’objet dans le livre de passages particulièrement durs et cruels. Certains passages sont d’une violence presque insoutenable, d’une grande crudité. L’auteure nous permet d’examiner les profondeurs de la cruauté humaine en la contrebalançant par le pouvoir réparateur de l’amitié. A l’opposé, certains passages concernant l’amitié qu’il noue avec Willem sont d’une rare beauté.
Jude est l’étoile noire de ce roman, le personnage clé de ce roman qui s’étend sur trente ans en embrassant les destins et les vies intérieures de ces trois amis qui connaissent succès professionnels fulgurants, échecs personnels et traumatismes. L’histoire de Jude nous fait comprendre le titre du livre. Cette vie comme les autres, c’est évidemment celle que souhaite Jude après avoir vécu toutes ces atrocités durant son enfance et son adolescence.
Une vie comme les autres est un livre bouleversant qui explore en profondeur les affres les plus abominables et les grâces les plus sublimes de l’âme humaine. C’est un roman d’une immense intensité dans lequel Hanya Yanagihara nous fait passer de la joie à l’horreur, du calme à la tempête avec une grande habilité. Rarement un livre m’aura donné tant d’émotions, me mettant très souvent un début de larme à l’œil.
Une vie comme les autres est aussi un immense roman sur l’amitié, sur le temps qui passe, un roman incroyable car l’auteur arrive à exercer une double fascination autour de Jude. Le personnage de Jude exerce une fascination sur ses amis mais aussi sur le lecteur. L’auteure parvient parfaitement à ce que Jude s’immisce dans nos pensées. C’est là l’un des nombreux talents du livre.
Une vie comme les autres est aussi un roman éprouvant car le lecteur subit les épreuves que traverse Jude avec un grand réalisme. On souffre à ses côtés en lisant les horreurs qu’il a pu vivre, on a envie qu’il se libère de ses démons. On espère une résilience, que l’amour et l’amitié emporteront tous ses tourments. On n’est jamais indifférent à ce qui lui arrive tout au long du livre.
Une vie comme les autres est aussi un roman attachant, comme cette amitié réparatrice entre Jude et Willem et révoltant (face à ces monstres qui ont maltraité Jude dans le livre), d’une grande beauté mais aussi d’une infinie tristesse. C’est un roman qui interroge de manière saisissante nos dispositions à l’empathie et l’endurance de chacun à la souffrance, la sienne propre comme celle d’autrui. C’est enfin un roman qui se termine de façon saisissante.
Une vie comme les autres est un chef-d’œuvre, tout simplement, une nécessité de lecture.
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