Comédie d'après l'oeuvre de Marivaux mis e en scène par Jean-Michel Rabeux, avec Morgane Arbez, Aurélia Arto, Claude Degliame, Hugo Dillon, Roxane Kasperski et Christophe Sauger.
D'abord une question : pourquoi cette parenthèse "(ou presque)" alors qu'on assiste à l'adaptation de "La Double Inconstance" par Jean-Michel Rabeux plus que "presque" fidèle au texte de Marivaux ?
Modestie ? Fausse piste ? On ne tranchera pas mais peut-être y verra-t-on la préfiguration à la fin pessimiste que le metteur en scène ajoute, sans avoir besoin d'ajouter un mot à la comédie de Pierre Carret puisqu'à l'instar de Pierre Ménard, auteur d'un "Don Quichotte" en tout point pareil à celui de Cervantès selon Jorge Luis Borges, pour Jean-Michel Rabeux, c'est Pierre Carlet le véritable auteur de "La Double inconstance"... Or Pierre Carlet est le vrai nom de Marivaux... Presque le vrai nom dirait Rabeux et l'on en finirait alors plus..
Reste qu'on assiste à une "Double Inconstance" faussement joyeuse, faussement évidente puisque ce qui arrive à Arlequin (Hugo Dillon) est aujourdhui le principe de la collection Harlequin : les jolies roturières telles Sylvia (Morgane Arbez) peuvent épouser les Princes (Claude Degliame) et les gars de la campagne prétendre ne pas s'en offusquer en s'accordant avec des conseillères en communication comme la belle Flaminia (Roxane Kasperski).
Mais est-ce si simple ? Et cette manipulation orchestrée avec l'aide de tous ceux qui sont à son service, comme l'intrigant Trivelin (Christophe Sauger) ou la belle coquette Lisette (Aurélia Arto), n'est-elle pas un jeu de dupes qui se paie cash après la dernière réplique troussée par Pierre Carlet dit Marivaux ?
"La Double Inconstance" est créée au moment où s'achève la "Régence", cette parenthèse libérale et libertine entre les règnes de Louis XIV et de Louis XV. L'absolutisme, pour quelques mois, est oublié et le texte de Marivaux en est l'expression.
Mais ce n'est qu'une pause avant la catastrophe que sera le règne de Louis XV, d'où ici cet abus de hauts talons, de perruques rose ou jaune flashies, ces acteurs travestis en femmes et ces actrices en hommes. Tout est sans dessus dessous, même si le prince est en réalité déjà maître du jeu, qu'il étend son droit d'aimer sur toutes ses sujettes, même celles qui ont déjà des engagements amoureux...
Rabeux a-t-il voulu, sans en avoir l'air, juste avec un "presque", définir une analogie avec 2018 où les princes et les bergères peuvent théoriquement s'aimer de leur plein gré... mais où rien ne se passe comme ça, d'où l'impasse nihiliste finale ?
On restera dans l'expectative, tout en admettant que tout ce qui paraît pure gratuité, comme par exemple l'inévitable passage rock, ou l'idée que ce soit la grande Claude Degliame qui joue le Prince (grimée et poussant sa voix vers les graves avec une conviction totale), n'affecte pas la qualité de l'ensemble.
Au moment où triomphe "Le Jeu de l'amour et du hasard" monté par Catherine Hiegel, le travail de Jean-Michel Rabeux, moins classique et plus risqué, explore une autre voie possible pour expliquer pourquoi l'oeuvre de Marivaux résonne encore aujourd'hui.
En effet, il prouve sans en avoir l'air que ce que dénonçait, à son époque, l'auteur de la "Double Inconstance" a toujours cours, c'est-à-dire l'éternel combat de classes sociales antagonistes qui s'affrontent, toujours et encore, sur le terrain du pouvoir et de l'amour.
Une belle leçon pour un beau spectacle maîtrisé et sans fausses notes avec une distribution brillante, parmi laquelle, outre Claude Degliame, on soulignera la performance de Morgane Arbez en Silvia et celle de la piquante Aurélia Arto en Lisette. |