Comédie de Ivan Tourgueniev, mise en scène de Alain Françon, avec Nicolas Avinée, Jean-Claude Bolle-Reddat, Laurence Cote, Catherine Ferran, Philippe Fretun, Anouk Grinberg, India Hair, Micha Lescot, Guillaume Levêque et, en alternance Thomas Albessard, Quentin Delbosc-Broué et Anton Froehly.
Avant Anton Tchekhov était Ivan Tourgueniev et, coutumier du premier, Alain Françon monte l'opus dramatique majeur du second, "Un mois à la campagne", une comédie de moeurs dont l'intrigue évoque la villégiature goldonnienne déclinée à la russe.
Au gré d'une humeur pouvant être qualifiée de fantasque à une époque où le trouble bipolaire n'a pas encore émergé des limbes psychiatriques, Natalia Petrovna (Anouk Grinberg) règne en diva sur sa maisonnée, son mari Arkady (Guillaume Levêque), homme désenchanté, propriétaire terrien progressiste et mari bon bougre, Radikine Micha Lescot), l'ami de celui-ci et amoureux transi, son fils, sa belle-mère collet-monté (Catherine Ferran), sa jeune pupille Vera (India Hair) et les "ancillaires"de la gouvernante (Laurence Cote) au médecin de campagne (Philippe Fretun).
Un nouveau venu engagé comme précepteur (Nicolas Avinée), jeune étudiant qui a la beauté rustre et la vitalité de la jeunesse plébéienne, va éveiller la libido chez la jeune fille et susciter une envie de passion amoureuse chez la femme.
Car le personnage central de Natalia entre en résonance avec de futurs et mémorables avatars romanesques, Anna Karénine, Emma Bovary et Lady Chatterley, bien que pour elle, contrairement à celles-ci, le principe de réalité, par ailleurs consolidé par fuite du jeune homme sans doute ambitieux peu séduit par l'alternative jeune fille désargentée/femme mariée menant beau train de vie, la ramène à un salutaire pragmatisme.
Mais tel "un coup de tonnerre dans un ciel sans nuages" comme le définit avec lucidité Radikine, ce personnage plus pinterien que pasolinien de l'étranger impromptu, va néanmoins bouleverser l'ordre établi et vider le petit théâtre de la maîtresse de maison.
Rien ne sera plus comme avant car il s'ensuit le départ de Radikine, de Vera qui, par dépit et stratégie d'indépendance, accepte un mariage avec un barbon riche et peu exigent (Jean-Claude Bolle-Reddat) et même de la gouvernante qui va changer de statut en épousant le docteur.
Alors certes, la déception amoureuse du premier amour non partagé, la rivalité amoureuse et les tergiversations entre amour et devoir constituent le coeur de cible de l'opus mais il est passionnant d'y découvrir, alors qu'écrit en 1850, et au détour de scènes qui peuvent sembler anecdotiques, avec la diatribe du médecin, tant une virulente critique sociale contre la classe dominante qu'un jugement radical à l'encontre de la gent féminine et de son pouvoir de séduction et de manipulation des hommes.
Le texte, tel qu'il ressort de l'allègre traduction-adaptation de Michel Vinaver, rend compte des différents registres d'une partition placée sous l'obédience de la comédie mais qui navigue entres scènes de pure comédie et parodie mélodramatique en passant par la dramatique comédie des sentiments.
En délicats costumes pastel confectionnés par Marie La Rocca, les protagonistes de ce microcosme saturé par un ennui délétère évoluent, sous les douces lumières de Joël Hourbeigt, dans un décor de Jacques Gabel, esquisse de terrasse et de jardin impressionniste en fond scène aux allures de vieille photo jaunie qui, en autres temps et lieux, pourrait évoquer l'atmosphère des Fêtes galantes.
Alain Françon dirige avec efficacité une distribution judicieuse et de haut niveau quant à la qualité de l'interprétation, avec une mention spéciale à India Hair et Nicolas Avinée dans cette déclinaison des jeunes premiers et Micha Lescot classieux en dandy célibataire-coucou de vaudeville.
Et, dans le premier rôle, un rôle taillé sur mesure qui lui permet d'embrasser quasiment tous les emplois du répertoire classique, de l'amoureuse à l'héroïne tragique en passant par la coquette et la victime mélodramatique, Anouk Grinberg subjugue.
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