Comédie dramatique de Mohamed Kacimi, mise en scène de Marjorie Nakache, avec Jamila Aznague, Gabrielle Cohen, Olga Grumberg, Marjorie Nakache, Marina Pastor et Irène Voyatzis.
Fort de l'expérience acquise lors des ateliers d'écriture menés à la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis, le dramaturge Mohamed Kacimi a composé une superbe partition sur la sororité et la volonté de (sur)vivre des femmes incarcérées sans être laminées tant par l'enfermement que par l'institution carcérale.
Comme pour "Babylon City" sur le théme du racisme ordinaire écrit dans le même cadre de commande de Marjorie Nakache, directrice artistique du Studio Théâtre de Stains, et même si, en filigrane, sont évoqués des sujets tels ceux de la maternité et de la camisole chimique, Mohamed Kacimi ne traite pas du fond, que ce soit de la théorie pénologique ou du paradoxe pénitentiaire, mais de l'humain.
En effet, il indique dans sa note d'intention que "cette pièce se veut un hommage à ces femmes recluses, enfermées dans la plus haute des solitudes, souvent, trop souvent même, victimes de la violence des hommes, et qui, privées de tout, parviennent tout de même à réinventer un monde où elles jouent à ne manquer ni de liberté ni d’humanité".
Avec "Tous mes rêves partent de Gare d’Austerlitz", il propose donc un focus sur un petit groupe de femmes qui a élaboré une stratégie de résistance d'autant plus nécessaire que, reléguées du monde des vivants, elles sont oubliées de leur proches.
Un petit groupe particulier, composé de femmes adultes qui ne viennent ni de classes défavorisées ni d'une sociabilité délinquante dont le "crime" ne ressort pas à l'adolescence transgressive, à une sociabilité transgressive ou au grand banditisme.
En retraçant leurs angoisses, leurs peurs, leurs confidences et leurs espoirs informulés, Mohamed Kacimi traite sans diatribe polémiste de la discrimination sexiste, du machisme, de l'inégalité, de la violence et de la religion.
Ainsi Barbara, Rosa, Marylou, Zélie et Lily se retrouvent le soir de Noël à la bibliothèque devenue la bulle dans laquelle elles ont aménagé un espace de vie, de catharsis et de liberté qui passe par la parole, la lecture et le jeu, quasiment au sens de l'illusion théâtrale, pour faire semblant d'exister encore, pour exister peut-être encore demain.
Dans le décor sobre de Jean Michel Adam, deux tables-étagères de bibliothèque, seules les lumières de Lauriano De La Rosa et le bruit assourdissant des verrous signifient la prison, Marjorie Nakache, également au jeu dans le rôle fédérateur de la bibliothécaire, assure une mise en scène au cordeau de l'humanité, de l'émotion et de l'humour aussi qui twiste une partition qui use de différents registres, du drame au cocasse.
Elle est entourée de comédiennes aguerries, Olga Grumberg et Marina Pastor, et de jeunes pousses plus que prometteuses - Irène Voyatzis (celle qui est encore bloquée dans le traumatisme de la situation criminogène), Jamila Aznague (la warrior) et Gabrielle Cohen (la "rêveuse" du titre) - qui, avec elle, dispensent un percutant opus en forme d'uppercut qui va droit au coeur. |