Le peintre tchèque František Kupka, dont la première reconnaissance officielle est intervenue en 1936 avec sa participation à l'exposition Cubisme et Art abstrait 1936 au Musée d'Art moderne de New York, a longtemps été considéré comme le quatrième mousquetaire de l'abstraction éclipsé par le triumvirat Mondrian-Kandinsky-Malevitch qui tient le haut de l'affiche.
La superbe rétrospective "Kupka - Pionnier de l'abstraction" organisée par la Réunion des Musées Nationaux-Grand Palais en partenariat avec le Centre Pompidou, la Národní Galerie v Praze de Prague et l’Ateneum Art Museum d'Helsinki qui se tient au Grand Palais rétablit la réalité, celle qu'il n'est pas un outsider mais le précurseur, ce cavalier solitaire qui ouvre la route en portant l'étendard de l'abstraction avec les toiles présentées au Salon d'automne de1912.
Elle est conçue sous le commissariat de Brigitte Leal, conservatrice générale, directrice adjointe chargée des collections du Musée national d’art moderne du Centre Pompidou, Markéta Theinhardt et Pierre Brullé, historiens de l’art, qui ont opté pour une présentation chrono-thématique en trois centaines d'oeuvres, peintures et dessins ainsi que gravures, manuscrits, journaux, livres illustrés et photographies.
Et ce, non comme solution de facilité mais, en l'espèce, souci didactique pour mettre en exergue les ruptures qui scandent un parcours créatif aussi atypique qu'exceptionnel qui mène à l'abstraction en suivant une théorisation de la conception non illusionniste de la peinture explicitée dès 1913 dans l'ouvrage intitulé "La Création dans les arts plastiques".
Kupka : le cavalier solitaire de l'abstraction à la recherche de la dématérialisation de l'art
Kupka signe une œuvre libre et solitaire, n'appartenant à aucun mouvement, ambitieuse, atteindre une réalité transcendantale, radicale en revendiquant et assumant la marginalité, refusant de promouvoir son œuvre suite à la mauvaise réception de son oeuvre en 1912 en se situant hors du marché de l'art, son premier contrat avec un galeriste date de 1951.
Les deux portraits de son épouse, celui de 1905 incarné et sensuel à la manière de Rubens ("Portrait de Madame Kupka") et celui de 1910 ("Madame Kupka dans les verticales") dans lequel seuls apparaissent quelques traits du visage dans une composition de verticales colorées attestent du fulgurant virage stylistique.
Pour aborder cette exposition, le visiteur doit garder en mémoire, d'une part, les croyances personnelles de Kupka issues de ses origines, artiste tchèque né en Bohême orientale dans une Mittel Europa placée sous obédience des pseudo-sciences ressortant à l'occultisme, et nourries tant du courant philosophique du spiritualisme que de la vogue de la théosophie, de la métaphysique schopenhauerienne et de la réforme de la vie prônée par le Lebensreform allemand, précurseur de ce que sera le New Age et l'altermondialisme.
Ainsi il croit aux principes de la transcendance, à l'ordre cosmique implicite dans la nature qui est au centre de l'univers et à la réalité spirituelle qui déterminent son approche ésotérique de l'art qui doit être conçu comme l'émanation de l'âme en quête de l'invisible et de l'imperceptible.
D'autre part, sa formation, une formation académique à Académie des beaux-arts de Prague, avec l'étude de la peinture historique et religieuse, mais également une initiation au dessin géométrique, puis à l'Académie de Vienne à l'époque de la Sécession viennoise qui explore la géométrisation des formes.
Enfin, les influences stylistiques croisées qui émaillent, en ruptures successives, la lente gestation vers l'abstraction. L'idéisme symboliste, variante paganisme antique, innerve l'oeuvre graphique de Kupka qui lui permet de vivre à son arrivée à Paris en 1896 avec des dessins pour la presse satirique et l’illustration d’ouvrages littéraires, qui démontre sa maîtrise de cette technique.
Pour la peinture, il navigue entre l'académisme avec la figuration allégorique ("Soleil d"automne", "Epona-Balade", "L'argent"), le naturalisme expressionniste avec la série des gigolettes parisiennes ("gigolette en rouge"), "Le rouge à lèvres", "Chanteuse de cabaret") et le fauvisme ("Portait de famille").
Avant que n'intervienne le virage conceptuel du "Grand nu- Plans par couleurs", oeuvre-manifeste du non-figuratif exposé au Salon d’automne en 1911 qui annonce l'abstraction en marche qui va se révéler avec les oeuvres "Amorpha, fugue à deux couleurs" et "Amorpha, chromatique chaude" présentées l'année suivante.
Les expérimentations picturales destinées à appréhender l'ordre cosmique s'enchaînent alors de manière vertigineuse selon un protocole qui repose sur la triade couleur, avec des recherches chromatiques soutenues par la psychophysiologie de la couleur à la suite des travaux de Chevreul sur la couleur, la lumière et le mouvement, pour la traduction duquel il s'inspire de l'eurythmie, un langage codifié dansé, et de la musique.
Son langage forme repose sur l'esthétique des plans ordonnée par la dialectique gémoétricale et la suppression de toute matérialisation physique celle-ci ne subsistant que par sa trace formée par des lignes colorées soutenues par un rythme
dynamique symbolisant l'énergie vitale.
A la série des plans verticaux succèdent les circulaires, avec pour oeuvre-synthèse le tableau "Autour d'un point", les plans diagonaux, les arabesques et les peintures organiques aux couleurs explosives qui célèbrent le bouillonnement de la nature ("Conte de pistils et d'étamines", "Printemps cosmique I ert II") qui mène
Dans les années 1930, après une période dite "machiniste" dans laquelle il procède de manière originale à la géométrisatiion des corps et à l'anthropomorphisation des formes géométriques, Kupka poursuit dans la voie de l'abstraction géométrique ("Peinture abstraite", "Eudia","Ensemble statique", "Circulaires et rectilignes", "Plans diagonaux").
Après la Seconde guerre mondiale alors que l'abstraction lyrique semble la seule posture artistique possible dans le monde de l'après Holocauste, Kupka septuagénaire décline toujours son dogme "Peindre des concepts, des synthèses et des accords"et livre en 1957 avec "Trois bleus et trois rouges" son ultime étape vers la dématérialisation totale qu'il pensait permettre le passage immédiat de l'émotion artitisque entre esprits par la simple projection de la pensée.
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