Réalisé par Jean-Paul Civeyrac. France. Comédie dramatique. 2h17 (Sortie le 18 avril 2018). Avec Andranic Manet, Corentin Fila, Gonzague Van Bervesseles, Sophie Verbeeck, Jenna Thiam, Diane Rouxel, Nicolas Bouchaud et Charlotte Van Bervesseles.
"Si nous ne brûlons pas, comment éclairer la nuit" ? écrivait Henri Michaux. Une interrogation qui résume le dernier film de Jean-Paul Civeyrac, "Mes Provinciales".
De feu, de brûlure, de fulgurance, il en est beaucoup question pour tous ces jeunes cinéphiles, cinéastes en herbe, qui brûlent des "feux de l'extase" décrits par Nerval. Nerval, justement, et ses "Filles de feu", Pascal, et ses "Provinciales" (et, pourquoi pas, et sa nuit de feu) les accompagnent, parmi d'autres, dans leurs tâtonnements, dans leurs incertitudes.
"Mes Provinciales" de Jean Paul Civeyrac est un film d'éducation. Comme dans les romans du 19ème siècle, un jeune homme, Etienne (Andranic Manet) monté à Paris, apprend à rompre avec Lyon pour apprivoiser Paris.
Dans un noir et blanc magnifique, on le suit dans les couloirs de Paris VIII, dans le petit appartement qu'il partage avec Valentina (Jenna Thiam), dans sa poursuite du mystérieux Mathias (Corentin Fila), prince romantique, génie tourmenté qui parle haut et refuse les compromissions. Avec Jean-Noël (Gonzague van Bervesseles), confident patient et amoureux, ils forment un drôle de trio, passionné et un peu décalé.
Les références fleurissent, dans ce film où chacun a un auteur à citer, un vers dans la poche, une image au coin de l’œil. Pourtant, le film ne ploie pas sous le poids de ces modèles, mais leur rend un hommage tendre.
Quelques secondes gracieuses d'un Marlen Khoutsiev permettent instantanément de ressentir ce besoin impérieux de cinéma et de vie qui saisit les auteurs en herbe. Un Bach joué par Glenn Gould pour dire l’amour qui s’étiole, et un Satie pour déclarer son amour. Un poème de Novalis pour révéler le trouble, et un paragraphe de Pasolini pour affirmer sa foi.
On a souvent peur, au cinéma, du romantisme. On le confond souvent avec le doucereux, le cliché, l'engluement dans les bons sentiments. Civeyrac ne se laisse pas prendre à ce piège. Le romantisme, chez lui, c'est le sentiment de l'urgence mêlé à un goût de l'absolu et du beau, dans les arts comme dans la vie.
Sur les quais de Seine, déserts et silencieux, Mathias et Etienne ont envie d'y croire, à cette vie pleine portée par un Paris éternel. Mais il suffit de trébucher pour que le rêve se dissipe.
Mathias l'intransigeant, Etienne le rêveur, Jean-Noël le pacifiste... Tous, à leur manière, veulent faire, ont fait du cinéma leur vie. Ou plutôt, confrontés à un réel qu'il est urgent de romantiser, ils cherchent à concilier le réel et le cinéma, à mettre ce qu'ils appellent la vie sur un écran.
Mais comment s'approprier un réel fuyant ? Comment ne pas se compromettent tout en survivant dans un Paris un peu effrayant, un peu indifférent ?
Ce sont les personnages féminins qui viennent, en permanence, questionner ce goût de l'absolu et balayer les certitudes des personnages. Ainsi, au cours d'une discussion tout droit sortie de "Ma Nuit chez Maud", Etienne et Valentina échangent, forcément, sur Pascal et ses Provinciales. Etienne s'insurge contre le mensonge, les facilités de l'existence.
Valentina, elle, le pousse dans ses retranchements, et met en évidence la complexité du réel. Car, comme on peut l'entendre dans le film, et comme l'écrivait Pascal, nous sommes embarqués. Nous ne pouvons refuser de choisir, nous tenir sagement à distance du monde et de ses exigences.
Jean Paul Civeyrac filme avec tendresse ce ballet de grandes âmes qui se croisent et se confrontent au réel. Dans une très belle scène entre Valentina et Etienne, les deux personnages n’apparaissent pas dans le même cadre; et puis, Valentina se fait séductrice. Elle rapproche doucement son visage de celui d’Etienne.
La caméra accompagne ce mouvement dans un léger pano, et semble même le devancer, attirer les deux visages l’un vers l’autre pour qu’ils figurent, enfin, dans le même cadre et puissent se rencontrer. Un exemple, parmi tant d’autres, de la délicatesse de la mise en scène de "Mes Provinciales". |