Le label toulousain We are unique! Records, à qui l’on doit (excusez du peu) les deux premiers albums de Midget ! mais aussi les disques de Le Flegmatic, reste décidemment fidèle à ses artistes en publiant le nouvel opus de Michael Wookey (ce même Wookey fut d’ailleurs arrangeur pour Angil and the Hiddentracks, autre signature de taille de cette petite structure).
Si vous aviez connaissance et goûtiez déjà son précédent album, Submarine Dreams, vous ne devriez pas être déçu ; si vous ne connaissiez pas, j’espère que cette chronique vous donnera, au moins, l’envie de découvrir.
Bien qu’heureusement différent du précédent opus, la continuité est bien là et les partis pris artistiques sont forts : toujours l’importance donnée à la voix (encore mixée en surplomb) audible et compréhensible, le chant est incarné, toujours le soin méticuleux accordé aux arrangements et toujours des prises de sons remarquables. Cette façon, si singulière, de faire sonner les instruments - qu’il s’agisse d’instruments connus, familiers, comme les batteries, les pianos, les Mellotrons, les guitares, les violons, etc. ou d’instruments aux sonorités moins familières évoquant une collectionneur bidoulleur de sons inattendus, de sons "inentendus" - le rapproche sur ce point de Pascal Comelade.
Les instruments ont chacun leur place, leur espace sonore – on est assez loin des bouillies de la scène "néo psyché" qui, à force d’être trop mixées, en deviennent bizarrement indigestes.
L’album s’ouvre sur une ambiance toute comeladienne au toy piano (joué par celle qui fut musicienne pour John Cage, Margaret Leng Tan), puis viennent d’annonciatrices scansions de cuivres. Le morceau mute encore, devient un peu hip-hop, pour finir dans la grandiloquence tout en cordes, cuivres et piano lyrique.
L’album se poursuit avec des morceaux reposant sur des rythmiques (simples) de batterie. Sur "Red Hot Dollas" s’ajoute un piano discret, des envolées de cordes et la voix parlée chantée prend une forme exorcisante. "Living by the sea" construit une ambiance plus cuivrée, celle d’un pop orchestrale mélancolique. Puis vient "Bane", morceau plus enlevé reposant sur le duo contrebasse batterie ; une discrète guitare, de douces montées de cordes et de cuivres donnent une ambiance petite fanfare adoucie à ce single. Le final, sorte de ballade folk lo-fi, est en rupture totale avec le reste du morceau.
Les trois titres suivants sont d’esprit plus ballades folk, arpèges de guitares, ambiance aux claviers, piano résonnant, piano en écho et Mellotron ("Long Live The Meadows"), ballade folk mélancolique, tout en retenue ("Hollywood Hex") très pianistique, guitare étouffée à la phrase rudimentaire jouée en boucle. "Do the Right Fear No Man", enfin, et ses violons expressifs est construit comme un crescendo toujours retenu, une lente progression.
Vient ensuite "Motherfucker" comme un interlude, puis "Shut your mouth and dance with me", sorte de ballade cabaret déglingué, ambiance harmonica, arpèges country folk, Mellotron élégant, synthés, "noisy" pouet pouet, et petites chorales.
Le classique "Pistol Whipped" prolonge l’ambiance si ce n’est la rupture brutale à la troisième minute comme un deuxième morceau plus en fanfare.
Voilà la fin, on le sent, avec "Small Voice of Calm". On range le décor, demain la tournée se poursuit et l’on est un peu satisfait, un peu mélancolique aussi. C’est l’heure de l’examen. Tout s’éteint après des crépitements. Les rythmes du cœur. Les lumières du cirque crépitent, s’éteignent, ou grillent.
Par rapport à son précédent opus, celui-ci peut sembler plus classique, moins cabaret expressionniste. C’est vrai ! Ce disque est plus grave, plus introspectif : Wookey semble se parler à lui-même, se donner des conseils comme pour se prémunir contre lui-même.
On note parfois un certain "minimalisme", une économie précieuse et précise plutôt que le déferlement sonore et l’opulence du disque précédent. Ce n’est pas un défaut. L’ensemble saisit autant par sa sincérité, par son sens évident de l’écriture, que par son souci de proposer un son singulier.
Entre cabaret expressionniste conscient de ses limites, pop orchestrale modeste et ballade folk violoneuse, l’ombre de Tom Waits semble s’être éloignée, remplacée par celle de Sparklehorse (celui de It’s a Wonderful Life) mais avec toujours ce qui fait d’un disque de Wookey est un disque de Wookey : il est unique ; et cherche l’essentiel, non dans le dénuement d’un duo guitare / voix ou piano / voix (dont on peine à comprendre ce qu’il aurait, par principe, de plus profond que le reste) mais au contraire dans l’intelligent usage de l’artifice. |